Alain Bellaïche, Fluo Kid (part.1)
Plutôt que de fantasmer depuis la France à une Amérique possible, Alain Bellaïche est parti graver deux LP sur place. Entre 1973 et 1975, le môme parisien grave Metropolitan puis Sea Fluorescent. Références royales et line-up infernal. Mais il y a surtout un regard ultra pointu et ultra naïf sur le mythe de soi et des modern westerns. Il était à Paris à l’occasion de la réédition de Sea Fluorescent sur Souffle Continu Records.
Alain Bellaïche, dos au mur du son © A.G.
Cette réédition, c’est un peu une surprise, non ? Le genre qu’on apprend stupéfait au téléphone ?
Le téléphone, ça ne sert plus à rien de nos jours. Il y a deux ans, une boîte anglaise qui s’appelle Late Night Tales et qui sort beaucoup de compilations m’a contacté en ayant entendu un morceau de Sea Fluorescent sur YouTube. Ce n’était même pas moi qui l’avait posté. Le mec m’a dit qu’il connaissait le morceau, m’a t-il avoué plus tard. Il écoutait ça avec le fils de Fela. Et ils adoraient ce morceau. Moi je leur ai filé une licence pour sortir ça sur le double-album compilation d’un DJ, Floating Points. C’est son nom de guerre. Et Late Night Tales, ils sortent plein de trucs, entre musiques électroniques, trucs progressifs. Et régulièrement ils sortent des compilations, dont celle avec mon morceau. Ça m’a fait plaisir. J’ai aussi eu l’occasion de me replonger dedans. C’était au printemps de l’année dernière. Ça a pas mal marché.
C’est une raison qui ont provoqué la réédition chez Souffle Continu ?
Tout est lié. À cette époque, j’étais avec Richard Pinhas (Heldon) chez Souffle Continu. Il m’a présenté tout le monde. Eux, ils connaissaient mais n’avaient jamais entendu. J’ai envoyé les MP3, en pensant que ça ne leur plairait pas trop. Le lendemain, ils m’ont téléphoné pour me dire qu’ils voulaient faire une réédition. Ils font des rééditions d’une qualité extraordinaire. C’est vraiment trop. Ils font attention à tout. J’ai retrouvé des photos du studio de 1975, tu imagines ? Donc ils ont voulu faire un livret. Ça c’est cool.
C’était cool de revenir sur cette période ?
Écoute, moi je suis très fier de cet album. Ça c’est sûr. Du premier aussi d’ailleurs [Metropolitain, ndlr]. Évidemment, c’est une autre vie en gros. Disons que je les regarde et les écoute avec une vraie perspective. Mais je me dis que ça sonne quand-même bien. Ça a à peine pris de l’âge. Pour l’époque, je pense que c’était pertinent. J’étais musicalement très bien entouré. Tony Smith le batteur m’avait reçu, il avait écouté ce que je faisais. Tout de suite il a voulu en être. Fabiano voulait aller à New-York avec sa femme. J’ai payé les billets d’avion et il a fait les percussions sur l’album. C’est l’occasion qui a fait le larron. Quand tu as 23, 24 ans, tu ne réfléchis pas, tu fais.
— Sea Fluorescent (1976, rééd 2020)
John Hicks
Nils Lofgren
Metropolitain (Asylum Rec. 1974)
Mais, toi, tu rêvais depuis longtemps de travailler là-bas, aux USA. Depuis l’époque où vous trainiez au Centre Américain avec Alain Renaud.
Oui peut-être. C’était inattendu, c’était plus qu’un rêve.
Surtout quand sur l’album, il y a Nils Lofgren ou John Hicks.
C’est ça. Lofgren, c’est Alain qui l’a amené. Il connaissait des musiciens de Washington, de la bande de Neil Young. Quand je parle de cette époque à des gens, j’essaye de faire comprendre que tout était normal.
C’est ce que tu disais déjà à l’époque, notamment dans l’interview de 1976 avec Rock & Folk.
Oui, c’est une autre culture. Tu vois en France, les grandes stars sont des écrivains. Là-bas, ce sont plutôt les musiciens. C’est aussi une question de considération. Et pourtant les connexions étaient relax. Il y avait un enthousiasme palpable dans le studio. Surtout pour Metropolitan. Dans le deuxième album, c’était différent. Fabiano a amené John Hicks, et moi j’ai repris Wornell Jones qui jouait déjà dans le premier. Hicks disait qu’il n’avait jamais vu des séances comme ça.
Justement, ça participait à l’hybridité du disque. Comment tu regardes les étiquettes, avec le recul ?
Complètement. Moi mon but, c’était l’hybride. La synthèse musicale. Un carrefour d’influences. Il fallait que je réussisse à créer une représentation. Ensuite, je pense sincèrement que quand tu portes un projet, tu croises les personnes qui t’aideront à atteindre tes objectifs. Je pense ça pour beaucoup de choses dans la vie.
Comment vous avez travaillé tous ensemble dans le studio ?
Il n’y avait pas forcément de partitions. Il y avait des grilles d’accords. On se montrait des trucs, on collait, à la fin on mettait tout ensemble pour enregistrer.
Tu as senti tout de suite qu’il allait y avoir une grande différence avec l’époque ‘Alain Renaud’ ?
Oui. Déjà, c’est lui qui faisait les solos. Il a fallu que je m’y colle ! J’ai tenté d’engager des gens très connus, dont je ne vais pas citer le nom, mais ça ne collait pas.
Est-ce que tu considères à l’époque que tu fais la musique d’un titi à New-York ou est-ce que tu avais déjà assimilé la culture pour faire une musique américaine ?
Je crois que c’était plutôt une musique américaine déjà. De toute façon, les influences étaient américaines. C’était un foisonnement.
Et puis il y avait une forme de fascination, non ?
Pour moi oui complètement. C’est le blues qui m’a fasciné en premier, Big Bill Bronzy, Lightnin’ Hopkins dès mon plus jeune âge. Ensuite les Beatles, les Beach Boys, les Kinks. Et ensuite le Rythm’n’Blues…
Ce disque, il a été important dans la suite de ton travail ?
Pas vraiment, non. Il fallait que je fasse autre chose. La vie nous oblige à nous réinventer. Je peux dire que j’ai eu plusieurs vies. Parfois, il faut même recommencer à zéro. J’ai beaucoup bougé, j’ai tenté des trucs. À New-York, en Guadeloupe. Ensuite j’ai eu du boulot à Montréal et j’y suis resté. Il faut vivre !
Lightnin’ Hopkins
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propos recueillis par Arthur Guillaumot
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Souffle Continu Records : site web
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