Daniel Erdmann

Daniel Erdmann passe les frontières à grandes enjambées élégantes. Avec Thérapie de couple, sextet franco-allemand, le saxophoniste pose les bases d’une réunification idéale. C’est en concert au 38e Jazzdor festival.

par | 15 Nov 2023 | interviews

Daniel Erdmann

Daniel, tu sors de la création du groupe, jouée à Jazz Ahead.

C’est la première fois que je reçois une commande, et c’est assez spécial. J’étais bien sûr super content. Il y a eu une réflexion assez profonde sur la musique dont j’avais envie et sur l’équipe qui la jouerait. Comme il y avait la moitié du groupe que je ne connaissais pas vraiment, seulement en concert ou sur disque, il y avait un risque à prendre, un risque conscient et volontaire pour ouvrir d’autres espaces. Après, on a eu la chance de pouvoir faire 6 services de répétition. Cependant, quand j’ai demandé à chacun ses dispos, on avait un seul jour de libre, ensemble. De fait, s’est développé une manière de travailler par petits groupes. Et c’était une bonne chose. Au début, j’ai essayé des choses, des premières idées. Ensuite, à Berlin, avec les Allemands j’ai testé d’autres idées. Quand on s’est tous retrouvés pour la première fois, c’était en avril, tout le monde connaissait déjà ses propres voix. La belle surprise, c’est que je savais à qui j’avais affaire, chacun de nous s’est mis au service du projet, s’est rendu disponible malgré les difficultés de calendrier. Je suis vraiment super content, on a déjà caler des dates. Avant même que le groupe n’existe. C’était une commande pour faire une date unique mais grâce à Jazzdor, on en a eu 3 de plus, et il y a les concerts AJC en décembre. C’est génial comme histoire.

Avant de revenir sur le nom que tu donnes au projet, parle-moi de cette habitude qu’on ne te connait pas: travailler avec un groupe aussi large. Vous êtes 6, ça fait trois couples répartis en pupitres.

Un sextet, j’en avais jamais fait. Souvent dans mon écriture, je n’écris que des mélodies et des harmonies, et après on trouve les choses ensemble. Là, il y avait aussi les voix à écrire, à penser pour une structure de 50 minutes. Franchement, ça m’a ouvert l’esprit pour d’autres choses. J’ai dû chercher de l’inédit, écouter des trucs, faire marcher mon imagination pour essayer de comprendre ce que je cherche vraiment. J’étais déjà certain de vouloir bosser avec une batterie et une basse parce que c’est un truc que je n’avais pas fait dans mes groupes, ces derniers temps. Je voulais un son avec les cordes médiums graves même si le violon et la clarinette peuvent aller dans d’autres sphères. La clarinette et clarinette-basse, c’est le dernier élément auquel j’ai pensé parce que j’ai besoin de quelqu’un à côté de moi qui puisse faire le lien avec les cordes.

Tu réunis contrebasse, violoncelle, clarinette basse. il y a beaucoup de graves.

C’était vraiment ce que j’entendais. J’ai voulu créer plus dans les graves, médiums graves. C’est pour ça, cette instrumentation, sans piano/guitare pour créer les harmonies. Je pouvais facilement imaginer le son parce que je connais très bien Vincent Courtois et Théo Ceccaldi. Il y a donc la base sur laquelle j’ai pu travailler précédemment et la surprise de ce que les nouveaux amènent. J’ai pu ainsi travailler plus en profondeur sur les compositions.

La rythmique est composée d’un et d’une musicienne allemand.e.s, hasard ou choix personnel ?

On a jamais joué ensemble mais j’ai souvent croisé Eva klesse en festival en Allemagne. On s’est toujours bien entendus. C’était une bonne occasion. C’est pareil, dans le son que j’imaginais pour le groupe, quand j’ai pensé à ce son de batterie qui est clair et pas mal dans les médiums graves. Il y a une clarté dans son son mais les médiums longs ne prennent pas toute la place. Dans ma tête ça se complète. Il y a de la classe… Elle a les graves et les aigus en laissant une place dans les médiums graves pour les cordes et les saxophones. Robert, je l’ai rencontré en vacances, je jouais à Paris et il est venu à un concert. Ça a été une belle rencontre humaine. Il y a eu des signes positifs. Eva parle bien français, elle a fait un Erasmus à Paris, Robert parle aussi français, son père est roumain et il a une facilité de langue. Il y avait des choses comme ça qui m’ont fait sentir que c’était les bonnes personnes aussi.

Ça s’appelle Thérapie de Couple, et pour une fois c’est pas vraiment un titre programme comme ton Velvet Révolution ou Das Kapital. Là, c’est un peu décentré, un peu décalé mais toujours avec ce souci de l’intime et de mettre en couleur des enjeux personnels.

Je vis dans deux pays. Bien entendu, avec des programmes comme Erasmus, ça commence à être quelque chose de normal, ça casse un peu les frontières mais pas les différences mais pas l’hostilité des différences. Alors oui, ce titre, c’est un peu un clin d’oeil à cette histoire franco-allemande. En français on dit « couple franco-allemand » et en allemand on dit « le moteur d’Europe. » Ça raconte beaucoup de choses, ça.

Pour I Wanna Hold Your Hand, François, on pense évidemment à la photo de François Mitterand et d’Helmut Kohl.

Il y a plein de choses à raconter autour de ça. Même dans la façon dont on s’est installés, ce qui n’était pas pas prévu comme ça. Batterie-basse d’un côté, et sax et clarinettes de l’autre côté. Et, au premier concert je me suis aperçu qu’il y a les français d’un côté et les allemands de l’autre, séparés. C’est très drôle de voir comment les choses sont arrivées.

Tu parles de Thérapie de couple, ça veut dire qu’il y a encore des choses à régler ?

Oui. C’est venu en écoutant la radio et justement ça parlait du couple franco-allemand qui est en conflit. On s’est dit qu’on allait faire une thérapie de couple avec la musique. C’est un vrai sujet, très personnel à chacun.

Tu rends hommage à Louis de Funès et à Romy Schneider, deux figures souvent opposés dans la psyché culturelle française.

Tout les titres sont venus après avoir écrit les morceaux. Parfois il y a déjà une idée, quelque chose qui inspire un morceau, une thématique, ou un sentiment. Là, c’est écrit en pensant à cette dualité de nationalités. J’ai essayé ensuite de trouver des titres qui correspondent au caractère de chaque morceau. De Funès… Quand on regarde ses films, on peut en penser ce qu’on veut mais il a de nouveau rendu possible en France qu’on puisse rigoler des Allemands. C’est pas rien, c’est un vrai truc. Même si c’est toujours un humour moqueur, ça rend plus légère, cette part de l’histoire. Ça ouvre un dialogue. Et Romy, même si elle est moitié Autrichienne, c’est autre chose, une manière poétique et très sentimentale, tragique. Le morceau Louis de Funès, c’est speed, y a le solo de Théo, ça part dans tout les sens. Et Romy, c’est plus calme mais en même temps, un peu tourmenté.

Pour revenir sur les couleurs, il y a une fois de plus ce mélange d’un mood chambriste et d’une énergie plus free. On retrouve aussi et la qualité d’écriture et l’urgence habituelles, chez toi. Mais il y a une chose plus nouvelle, c’est une forme de sérénité.

Je le prends comme un compliment. C’est pas forcément quelque chose de conscient. Je suis sans cesse en transformation et c’est lié à plein de choses. La vie, l’âge, les expériences. C’est un bon moyen d’exprimer ses démons intérieurs. Si tu entends de la sérénité dans cette musique, je suis très content parce que c’est ce que je cherche dans ma vie, surtout après la phase Covid et toutes ces choses mauvaises. Je suis assez content d’entendre que ça passe dans la musique sans que je le conscientise. Peut-être est-ce dû aussi au fait que, dans le sextet, je joue moins. Chacun joue moins que d’habitude, c’est peut-être ça aussi qui oblige chacun à accepter les choses, nous oblige à faire confiance aux autres musiciens.


propos recueillis par Guillaume Malvoisin, juin 2023
en marge du Jazzdor Festival / photo © Romuald Ducros

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