Napoleon Maddox

Après Bonaparte, c’est au tour d’un autre Napoléon de rencontrer Toussaint Louverture, héros noir du peuple de France et d’Haiti. Beaucoup moins tragique, cette collision, jouée au Tribu Festival 2023. On en parle avec le rappeur de Cincinnati, installé à Besançon.

par | 2 Oct 2023 | interviews

tribu festival Napoleon

Louverture, c’est Napoleon contre Napoléon ?
(Il rit)… Beaucoup de gens se posent encore la question. C’est mon vrai nom, et pas un nom d’artiste. Mais vu l’histoire de Bonaparte, je dois éclaircir ce sujet. Ce n’est pas quelqu’un que je veux devenir, ce n’est surtout pas un modèle.

Avant de te lancer dans l’aventure Louverture, que représentait Toussaint Louverture pour toi ?
Je connaissais ses actions pour le peuple, les combats, mais c’est plus profond désormais.

Pour ce projet, tu visites le Château de Joux, dans le Jura, tu y découvres quoi ?
Parmi les nombreuses découvertes, il y en a une avec plus d’impact que les autres, c’est le temps que Louverture a passé à Haïti à servir la nouvelle République, après la Révolution Française. Toussaint est devenu quelqu’un pour le peuple. Il a franchi les limites de la monarchie mais aussi la limite acceptable par la République. Il a reçu du mérite, du respect, au moins autant que Bonaparte. Alors que le même Bonaparte était déjà en train de rétablir l’esclavage et l’Empire.

C’est ce que vous avez travaillé, la trahison d’un homme noir par la République blanche ?
Pas seulement. Pour moi, c’est une question d’actualité, une interrogation qui mérite plus encore d’éclairage aujourd’hui. Aujourd’hui, en Afrique, en Guyane, dans les Antilles aussi, les pays de l’Occident profitent encore et toujours de la misère et du désordre. On doit réfléchir profondément à ce déséquilibre volontaire.

C’est singulier pour toi, un rappeur africain-américain, de s’emparer de tout un pan de l’Histoire de France mal enseignée ?
Non, pas du tout parce qu’on a les mêmes problèmes aux Etats-Unis. L’Etat veut une éducation acquise à sa cause, le peuple doit être de son côté. Dans une guerre, tu dois défendre ton drapeau et c’est rendu possible si tu crois à tous les mensonges, à la mauvaise foi. Par exemple, Martin Luther King est une figure très importante, mais le gouvernement américain a mis l’accent seulement sur sa non-violence. Pourtant, pour être honnête, il faudrait aussi que l’État reconnaisse qu’il critiquait violemment sa guerre au Vietnam.

Tu fais partie des rappeurs pour qui la poétique et la politique jouent à part égale. Avec un projet aussi chargé d’Histoire, la part du politique avait-elle plus de champ dans tes textes ?
Je ne pense pas. Par exemple, Louverture, la chanson, c’est très poétique, avec les sensations du froid, l’humidité : « The Wind is not whistling to the Woods, it sings ». Si j’écrit seulement : « The Wind is whistling to the Woods », c’est juste nostalgique. Mais là, je voulais quelque chose de physique. Les âmes pleurent, et le son de leurs plaintes rebondit sur les arbres. Ceux qui ne comprennent pas tout à fait chaque mot, peuvent quand même sentir quelque chose.

J’imagine que pour Sorg, ça a été un travail titanesque de mettre en musique cette histoire. Seulement des beats, des boucles, mais pas de grand effectif orchestral pour les batailles, les émotions et les douleurs de Louverture.
On est en simplicité et en complicité. ça matche vraiment bien. Il y a une excellente dynamique entre nous, pour aller plus profond dans notre sujet et notre travail. Quand Sorg compose, j’écoute, et je commence à écrire, il écoute à son tour etc. Ce n’est pas : boucle, texte, saxophone et basta. C’est une vraie transformation commune.


propos recueillis par Guillaume Malvoisin, septembre 2023
en marge du Tribu Festival / photo © Edouard Barra

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