Eclats, consciences
et chauds gosiers
Météo, Mulhouse Music festival, mercredi 23 août 2023.
[Na]
Entame de festival avec trois Lizzardele alanguis. [na], c’est penta très tonique et alsaco-oumpa-punk avec une sensibilité à fleur de peau. Peau de lézards. Éclats d’écailles, sang froid et salves dorées. Météo 23, quarantième du nom, est lancé.
Musho (Sofia Jernberg / Alexander Hawkins)
Laissés chacun sur des impressions rugueuses et magnifiques lors d’éditions précédentes du festival, on retrouve Sofia Jernberg et Alexander Hawkins sur une impression commune. Vertueuse et magnifique. C’est Musho. Allez, pour l’histoire et les archives, en appellerait à Jeanne Lee et Ran Blake démontant, en 1962 et au pied de biche, la tradition du piano-chant. À cela, on ajouterait la source, pour irriguer l’âpreté du duo Blake/Lee. L’Éthiopie. Celles des canons vocaux, de l’élégance élancée dans les formes, celle qui vous prend aux tripes et vous met la tête au ponant et les pieds à l’est. L’heure jolie de ce concert est qu’il n’y a pas de manières, pas de volonté de faire à la façon de. Pour la vibe et l’authenticité, il faudrait se refaire l’intégrale du catalogue Ethiopiques ou encore se repasser la redécouverte récente de Emahoy Guebrou, religieuse pianiste hypnotique jusqu’aux larmes, décédée en mars dernier. il faudrait, on pourrait. Mais ici, ce qui se joue dans ce duo très délicat, c’est l’Europe qui regarde l’Éthiopie avec des yeux d’amour stellaire. Chacun des deux musiciens est aguerris au terrain, compagnonnage de Mulatu Astake pour Hawkins, de Hailu Mergia pour Jernberg. Chacun a la force, la puissance et la tendresse qui viennent étendre tes techniques de jeu, comme un gregario viendrait abreuver son leader à l’avant du peloton. Sofia Jernberg fait souffle de tout bois et on boit. Paroles a-verbales, traits de gosiers et voix claire. Hawkins peint ses paysages, quasi soviétiques dans son état d’avant garde, français dans l’évocation, mondiaux dans leurs cinémas. L’amplitude en jeu dans le dénuement, dont la fragilité fait la force, pourvoit au montage des séquences de Musho. Âpres, désertiques et familières de diableries splendides comme cette reprise du Musicawi Silt de Getatchew Mekuria dont le cousin, Ethiopia Hagere a été repris plus tôt, sous la férule du trio d’ouverture.
Mike Reed’s Separatist Party
Bougez avec le post. Post rock, post free et post rap. Nope. Pas pour ce dernier, le rap, a tellement les deux pieds dans la rue, que can’t stop won’t. We know that for sure. Post le reste donc mais avec une urgence de vivre et de dire qui ne supporte pas le timbre à tarif éco. Words spokés comme ceux d’un charbonnier à vif et à sang. De sang, il s’agit bien dans cette Separatist Party. Pour les raisins de la colère relire Steinbeck ou les dernières dépêches sur les frasques grotesques judiciaro-trumpistes à Atlanta qui renverseraient le plus assis des bouddhas. Structure de groupe quasi classique avec les deux cuivres assis sur la rythmique aussi neuve que parfaite, sax/flûte et trompette confondants en chasing comme à l’unisson. Krautrock, post-punk, free motorisé. Cette colère est calibrée US. Yes. Et avec tout le velours, le groove, le sulfure et la fraternité dont Mike Reed et Ben Lamar Gay ont déjà fait montre. C’est l’âme du Chicago Spirit, insolent, gavroche et éveillé, que le départ de Jaimie Branch, il y a tout juste un an, a un peu entamé. Pas mal d’ensemble fédérés au présent et raccordés à l’histoire comme Heroes Are Gang Leaders, le Black Monument Ensemble ou encore Vocal Classics Of The Black Avant-Garde. Ici, la rallonge offerte par le badass groupe post rock Bitchin’ Bajas sur les micros cellules, jazzées ou drivées funk, enfle la dose de rugosité et d’âpreté du tapis sur lequel roucoule Marvin Tate, master of his own voice, Soulman à vous fendre l’âme. Roucoule, mouais. comme une colombe passée trop près du Capitole ou d’Odessa. Pourtant il y a de la douceur, de l’espoir nichés dans ce set. Party, c’est une façon de fête. Ne pas oublier. Faire sécession pour continuer à fournir l’espérance. L’histoire nous a filé des cas majeurs a re-méditer d’urgence. En attendant la sortie d’album, le 27 octobre prochain (We Jazz).
Fanny Lasfargues / Damon Locks
Racines street noise. Cette « conversation », comme Damon Locks aime à appeler ces duos, convoque des traces seventies et afro Soul pour construire une relecture Harsh-moderne. Retour des moments aimés à Météo. Duos montés en deux jours de turbin, grosses basses, verrières de Motoco qui jouent les fragiles et auditoire qui prend le son à sa source et à la gorge. À grandes lampées. Posés sur le square de l’espace de scène. Quasi ring de boxe pour un match inédit. Deux musiciens face à des comptes à régler avec une certaine histoire. Bruits, bruits de pas lourds et de chaine, fantômes. Damon Locks meets Fanny Lasfargues. Black conscient apostle et riot grrrl, ce set est cadenassé comme un prévenu à l’entrée du tribunal. Sauf que là, la beauté est que le Prétoire est full de rage comme de bonnes intuitions. Puis c’est « welcome to the heat », annonciateur, prophétique ou mauvais signal, sans doute. Élégie assurément, violoning rustre et entêtant pour Lasfargues et chapelets vocaux pour Locks. Ça colle ? Oui comme un carambar colle aux dents, avec joie et embarras. Des deux solos imbriqués, et c’est là que tout pari de crossover trouve sa raison, sa force peut-être, naît une friction sereine de deux traditions. Celle des USA et celle qui l’a toujours un peu regardée en faisant ou posant des mines, Frenchlandia. Blues, Gospel, noise et funk. Dancing Mondial. À quatre mains seulement. Pas mal.
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Guillaume Malvoisin
photos © Alicia Gardès
aliciagardes.com / instagram
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