Sylvain Cathala & Print

Jazzdor accueillait, en avril dernier, concerts et masterclasses pour Jazzlab #5. Le 13, coup de bol, Sylvain Cathala y fêtait aussi les 25 ans de Print, quartet d’équations à plaisirs. Voici quelques mots échangés.

par | 2 Mai 2023 | interviews

Sylvain Cathala PRINT-©TeonaGoreci-Jazzdor

Print = 4+1 © Teona Goreci / Jazzdor

Une explication pour la longévité de Print ? Est-ce que c’est un projet au long cours, imaginé comme tel dès le début ou c’est un projet qui a tenu 25 ans parce que vous vous êtes permis des reprises et des pauses ?
Tu proposes des alternatives intéressantes. C’est l’histoire d’une aventure et d’opportunités, parfois d’entêtement. C’est une explication parmi d’autres, mais j’avais pas en tête de monter en groupe. C’est venu un peu par hasard. Le premier batteur, Gilbert Roggi, m’a motivé pour écrire la musique. Il a eu raison de me dire : « les reprises que l’on prend de Ornette Coleman ou de Steve Coleman, c’est bien beau mais moi ce que j’ai envie de jouer, c’est ta musique ». Je lui ai répondu : « je n’ai pas de musique, me fait pas chier ! » (Il rit). Il a insisté gentiment, et j’ai commencé à écrire en autodidacte et à faire toutes les erreurs possibles et imaginables. Mais du coup, comme il y avait de la musique à écrire, il y avait des concerts à trouver. J’avais proposé des projets standards dans un petit endroit qui s’appelle L’Atmosphère qui a été rendu visible par Akosh S. qui jouait beaucoup là-bas, mais ils n’en voulaient pas. Je présente une maquette Print et ils me disent « ok ». On a commencé à faire un concert par mois pendant quelques années. Et parfois, deux concerts dans le mois. Ça veut dire que les compos que je pouvais écrire étaient mises en pratique, en répétition, et testées sur scène de manière immédiate. À cette époque là, Gilbert Roggi et Franck Vaillant ont permuté de groupe, avec Chamaeleo Vulgaris dans lequel jouait Franck et dans lequel est passé Gilbert. Et Franck est passé à Print. Au fur et à mesure que j’écrivais de la musique, je me suis dit : « là pour cette compo, on peut exploiter telle couche et telle couche, et le reste plus tard ». Mais les gars voulaient tout exploiter, tout, tout de suite. Du coup, il fallait roder le répertoire. De fil en aiguille on a fait des concours pour se faire connaître, gagné un enregistrement qui n’est pas sorti. Grâce au fait qu’il fallait roder le répertoire et trouver des concerts, on a duré pendant quelques temps, et puis après on a continué. Sur les dernières années, il y a eu des années sans concerts et sans enregistrements. Entre temps j’ai fait d’autres disques et développé d’autres projets mais, à chaque fois que je propose quelque chose, c’est reparti. Ça a continué de manière assez soutenue jusqu’en 2017 pour l’anniversaire des 20 ans. C’est donc un peu une volonté de construire sur le long terme comme ont pu le faire, par exemple, Miles Davis et son premier quintet pendant 350 concerts. Mais aujourd’hui on peut pas faire 350 concerts en 1 an, ni même en 6 mois, donc ça prend plus de temps. Certaines des compositions ont pu s’enrichir grâce au collectif d’orchestration, mais d’autres étaient plus difficiles.

Tu parles de difficulté.
C’était peut-être juste la maladresse du compositeur aussi. Une de mes premières compositions, je pense que c’est la 3e, un morceau qui s’appelle Baltic Dance, est en forme en arche. Une double arche écrite et improvisée, improvisée et écrit. Je l’avais mis au programme du premier enregistrement, il est passé à la poubelle, au programme du deuxième enregistrement, il est passé à la poubelle, et sur le troisième, on a enfin réussi à se le mettre en boite dans une version que j’apprécie toujours autant. Mais à partir de ce moment-là, on le jouait de temps en temps. (Il rit) « Ah mais tu veux jouer Baltic le coup prochain ? Préviens-moi avant, et on répète ! ».

La longévité, c’est aussi une histoire de fidélité. Avec les trois autres musiciens de Print, est-ce qu’elle a été évidente d’emblée ? Construite au fur et à mesure ? Est-ce qu’elle a été éprouvée avec toutes les invitations que vous avez pu lancer ? Tu l’avais déjà en tête au début, ce line-up inamovible ?
Dans les groupes que j’ai monté, que ce soit Print ou dernièrement le quintet, le duo basse-batterie n’existe pas au départ. Avec Print, Franck Vaillant et Jean-Philippe Morel n’avaient jamais joué ensemble, ni Sarah Murcia et Christophe Lavergne pour le trio, non plus Maxime Zampieri et Fred Chiffoleau pour le quintet. Il y a ce truc d’imaginer les croisements des parcours de musiciens qui se télescopent à des endroits, qui se rejoignent facilement à d’autres. Ce côté un peu africain dans une foule où on se bouscule un petit peu mais sans malveillance, pour entrainer des choses singulières. Sarah et Christophe, au bout d’un certain temps, cette rythmique-là avait une identité suffisamment forte pour que Louis Sclavis me la pique. Pareil pour Franck Vaillant et Jean-Philippe Morel, avec Olivier Py. Ça c’est un élément de réponse concernant l’adhésion, la fidélité. Il y a un deuxième élément qui est qu’avec Print, l’ouverture a été dès le départ. Sur des musiciens classiques, européens, sud-africains ou issus d’un jazz plus traditionnel. Cette ouverture-là à toujours existé. C’était des trucs ponctuels, mais voilà. Il y a des histoires d’amitiés, forcément, qui sont là. Et aussi des histoires de singularités, compagnonnage, de partage. Steph Payen, Franck Vaillant, Jean-Philippe Morel sont ultra généreux : « la musique que tu nous amènes, Sylvain, nous intéresse, on a envie de la travailler, on a envie de la diffuser et on en parle aux programmateurs, aux copains musiciens… ». Je n’essaie pas de faire quelque chose qui leur plaise, mais qui nous emmène dans des endroits dans lesquels on sera bien. Alors, c’est une phrase de rêveur ça, ou d’utopiste : « tiens, on a fait ça on a fait ça. Allons ici, allons creuser et voilà ».

J’ai l’impression que la musique de Print fonctionne aussi dans son rapport à la poésie. C’est une des premières choses qui m’est apparue en vous voyant sur scène, ce rapport à la fracturation, à la relecture.
Je sais pas trop… Parce que ce sont pas des mots que j’utilise, comme fracturation. Mais peut-être dans la même idée, la musique de Print propose des choses qui sont un peu ramassées, striées. Mais le côté strié, c’est pas le côté fracturé. Quadriller un plan ou deux, le strier de musique, ça définit un cadre dans lequel la dramaturgie ou le lyrisme peut avoir un rôle essentiel.

Ce serait quoi ton rapport au lyrisme ?
Il y a pas de relation entre le signifiant et le signifié en musique comme il peut y avoir dans le langage courant. L’émotion qu’on peut véhiculer sur cette musique-là, qui est un peu une musique éboulée, pour prendre l’expression de Sarah… On doit rendre clair des choses qui sont connues de nous, mais pas du public. Si on fait quelque chose d’abstrait comme la musique peut l’être, il y a un moment où on baille et on va boire un coup. Le lyrisme là-dedans, c’est comment faire chanter la mélodie.

La surprise dont tu parlais qui est donnée par la forme établie, pour celui qui t’écoute, qui vit le concert face à toi, c’est ça que tu vas chercher dans l’émotion ? Faire du commun avec les gens qui t’écoutent ?
Non, c’est vraiment le troisième stade. Le premier est de jouer pour soi, le deuxième pour le groupe et le troisième pour le public. Mais il n’y a pas de recherche d’adhésion du public là-dessus. C’est pas une voie individuelle accompagnée par la rythmique ou je sais pas quoi. Si on raconte une histoire collectivement, ça peut intéresser. La qualité de l’écoute retournée lorsqu’on réussit à raconter cette histoire collectivement, ça va dynamiser le groupe. C’est pas forcément des sifflets, des claps ou standing ovation, pas forcément ça. Des fois c’est juste la qualité d’écoute qui change d’un coup. Là.. (il prend un large respiration), on a attrapé les ailes, les petites plumes de l’ange qui ne faut pas lâcher quoi (il rit)

On a parlé de la fidélité entre vous, mais la fidélité, c’est aussi celle qui te lie aux influences de Print. Steve Coleman ou Tim Berne par exemple…
Il y a peut-être plus de points communs avec la musique d’Aka Moon par exemple, ou certaines petites horlogeries fines de Kartet. Il y avait un morceau que j’avais écrit. Au bout de 4 mesures, Franck et Steph s’arrêtent : « C’est du Aka Moon, Sylvain, faut pas faire ça ». Et je ne m’en étais pas rendu compte. J’ai digéré le morceau, je l’ai jamais enregistré et s’en est suivi une réflexion pour conserver une sorte d’identité. Est-ce qu’il y a des fidélités par rapport à ces influences de départ ? J’aime toujours autant cette musique-là, il y en a d’autres qui sont venus par la suite. D’autres musiciens comme Mark Turner qui a un pied en Europe, et un pied aux Etats-Unis dans la tradition… Il y a déjà assez longtemps, je me disais : comment faire pour monter un groupe où je puisse réunir cette culture classique, rock et celle des standards. Il y a cette fidélité-là, et peut-être une identité qui s’est creusée et enrichie par la suite.

Print

Comment tu définirais l’évolution du son de Print ? Est-ce qu’il s’est densifié avec une personnalité propre pour chacun avec l’âge, et le parcours ? Ou est-ce qu’il a changé ailleurs ?
C’est une question vraiment très complexe. Avoir plusieurs groupes fait qu’on ne voit plus évoluer chaque musicien en temps réel, parce qu’il rentre dans tel groupe, avec une tournée. Quand il vient à la répétition suivante, on entend la différence. Le son qu’on avait en commun restait le même, mais parfois avec une nouvelle distance dans la compréhension : « Il est en train de jouer ça là-dessus, jamais entendu avant ça. D’où ça vient ? Est-ce que ça marche ? » Ces questionnements-là ont été assez prégnants collectivement, et d’un point de vue individuel pour moi, pour savoir quelle musique envisager pour les prochains morceaux. Depuis cette période-là, je me fait un devoir d’écouter jouer au moins une fois dans l’année chaque musicien dans un autre groupe.

Est-ce que tu te demandes justement à un moment donné de préserver Print de ses expériences de chacun ou, au contraire, à l’en nourrir ?
Il ne peut pas y avoir d’exclusivité. Ça n’existe pas. C’est bien d’être ouvert au monde, et à un moment, on a envie de voir ailleurs. La preuve, moi j’avais envie de voir ailleurs, j’ai monté le trio et on a développé tout un tas de manière de faire des concerts, de faire de la musique différente de celle de Print. Je sais pas si ça s’entend, mais en tout cas, notre point de vue c’est pas la même chose. Par exemple quand Franck Vaillant vient remplacer Christophe, ça reste la musique du trio mais on est un peu dans Print avec Franck et un peu dans Caroline avec Franck et Sarah. Ça change un peu le prisme. Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant, mais ce que l’on gagne en curiosité, en nouveauté, en fraicheur aussi, il faut le mentionner, on le perd en identité. Et c’est pas bien grave. Mais il n’y a pas de nécessité à préserver un son, il y a nécessité à le faire vivre ce son-là.

Est-ce que tu te dis, parfois, que Print est le meilleur réservoir de toutes tes trouvailles, de toutes tes expériences accumulées en 25 ans ?
Réservoir, je sais pas… Ce qui est sûr c’est que c’était un terreau propice à une maturation collective dans le respect de l’autre et dans la bienveillance. Je prends un exemple : Franck, Steph et Jean-Phi sont super forts en rythme, mais vraiment ! Ce sont des champions du monde. Et moi pas. Dans cette musique qui est basée sur le rythme et conçue par quelqu’un qui est moins fort que l’équipe qui va la jouer, lorsque ça glisse, ce sont les gens forts qui vont donner le cap, qui vont remettre le train sur les rails. Je me souviens d’endroits dans lesquels j’entendais la rythmique qui glissait ou me rattrapait, je disais merci les copains, merci les copains. C’est le plan survie qui se déclenche. (il rit) Faut pas l’abandonner, faut le chercher. C’est des moments de ‘jouer ensemble’ qui sont essentiels. Et ça, ça fait de la musique.

Pour finir, il vient d’où, le nom de Print ?
Il y avait une volonté de vouloir une traduction anglaise d’empreinte, un rapport à la fois à la matière et au temps. Il y avait cette perspective de dire projet au long court. Du coup, si on tire le fil, il y avait Impressions, le morceau de Coltrane, le rapport à la modernité et à Footprints, aussi le rapport à une métrique moderne, à l’harmonie de l’univers de Shorter d’harmonie, de placement rythmique et voilà. Il y avait ces différentes idées et je ne me suis jamais trop posé la question de changer le nom ou pas. D’ailleurs, je ne me la pose toujours pas.

Quel regard, 25 ans après ?
Le côté matière, durée, temps, ça reste quand même malgré tout. On invente pas grand chose mais on assemble des éléments qui ont créé une identité. Nos qualités comme nos défauts ont créé cette identité. Donc, titre assumé.


propos recueillis par Guillaume Malvoisin, à Jazzlab Starsbourg le 12 avril 2023 (retranscription Florentine Colliat)
photos © Teona Goreci / Jazzdor

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