KUU! + Lady M/Marc Ducret
Jazzdor, Strasbourg
dimanche 6 novembre 2022.
KUU !
KUU!, tant pis pour les germanophiles, ne meugle pas. KUU! C’est la lune, en finnois. Et cette lune-là est décrochée à coup de talons par le quartet qui en a pris le nom. Free punk ? Aucun problème pour lui coller cette étiquette. Le tiroir ne fait pas le produit, on peut s’annoncer cool et se révéler connard. Ici, face à ce quartet, on est loin, très loin, de ce genre de débat. Voilà un groupe suffisamment vénéneux pour pouvoir s’appeler ‘Infectious’ ou ‘Épidémia’ mais qui a choisit de regarder ailleurs et surtout plus loin. Vers la lune, donc, et au-delà. KUU! c’est compact, matois et terriblement provoc. Génialement complexe aussi. L’espace creusé ne reste jamais longtemps immobile. Volubile sur l’ode à l’Islande qui donne envie de se refaire l’intégrale des Sugarcubes, émouvant-flamboyant sur cette reprise de My Body Is A Cage d’Arcade Fire.
Mais si l’espace est si joyeusement complexe, c’est aussi la faute à l’équilibre parfaitement instable dessiné par la triade batterie/guitares, fondée sur une frontalité décadrée. Lillinger reste inépuisable en capacité de défi personnel, Kallima et Möbus, en inventions constantes. Face au rock et à la base bétonnée, la régularité est rencardée au sous-sol pour lancer breaks et patterns dans le générateur d’énergie. Énergie nécessaire au chant de Jelena Kuljič, mater familias en tartan keupon : scansions urgentes, invectives ricanantes, imprécations impérieuses. Ce qui s’avère fort, avec KUU! C’est que le fond du problème ici est surtout le notre. Celui d’un monde qui tourne à l’envers, sur un axe aussi fucked up qu’un électeur au référendum de Maastricht en 1995. Si le monde est vicié, KUU!, en regardant la lune ne se prend pas le doigt dans l’œil et peut dès lors indiquer d’autres voies. Impatientes, sonores et peu amicales. On en est ramenés là, depuis notre fauteuil vissé à la Cité de la musique, posés face l’abandon nécessaire d’un certain confort. Foutue musique, foutu free punk.
Lady M / Marc Ducret
Autre set, autres Tartans. Marc Ducret s’avance seul, dans la pénombre. Drone de guitare et kilt black de nuit. Le Noir est clair et le clair obscur. Shakespeare renversait les codes dès le début de son Macbeth. Tout se brouille et les 3 sœurs effacent toutes raisons, laissant le petit roi à la seule lumière de ses désirs. En bref, un vaste projet voué à l’échec. Ne vouloir voir que ce qu’on désire, ça n’a jamais connu de fin brillante. Brillant, pourtant ce Lady M l’est. Assurément, se permettant même de conjurer la malédiction liée aux représentations du texte du Grand Will. Sans doute parce que Ducret en a twisté le principe, faisant de Lady Macbeth l’héroïne pressante et injurieuse des Dieux, pleine d’une envie et d’un esprit en proie aux flammes et aux doutes. « Unsex me, Ô thou, unsex me », attaque-t-elle d’emblée. Ce dépassement, réclamé ici, par la voix de soprane, est celle de l’ensemble même. Jouer, faire musique, avec Shakespeare, ne doit pas réclamer autre chose. Ducret ramène sa science de la composition et de l’improvisation, son bagage et ses armes, brutales ou consolatrices, pour construire cet opéra de poche avec la flamme des découvreurs. « Speak what we feel, not what we ought to speak », place le Shake dans la bouche du Roi Lear. C’est la devise en cours dans cette pièce pour tentet. Le feeling est vaste, cursif et addictif. Prenez n’importe quelle voix et vous aurez l’ensemble à vos trousses. Voir comment le trombone supplante et supporte Lady M, voir comment les cordes, violon, basse et guitare, joue les 3 parques élisabethaines (ce qui est toujours la jauge de réussite pour un Macbeth, représenter ces sorcières, summum atteint par Kurosawa) , voir comment le contre-alto s’élève dans le fracas et les clusters sonores qui l’entourent. Laissant le petit M, à ses envies irrésolues, à sa violence admise trop tard. Nous laissant nous, en larmes et en regrets, les tympans pleins du désir de la pluie apaisante annoncée par Banquo à Macbeth.
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Guillaume Malvoisin
photos © Teona Goreci / Jazzdor
visuel © Studio Helmo
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