L’Extase, mille gestes et 3 fantômes
Météo, Mulhouse Music festival, mercredi 24 août 2022.
Lise Barkas & Maria Laurent
Va espérer séparer le bon grain de l’ivraie, toi. Là ton catéchisme sert peu. L’époque est aux codes un peu flous, oui madame, et en impro tout fait son, tout fait sens. Alors tant pis pour l’ivraie et pour le grain, il convient d’en prendre son parti. Et ce duo-là s’y entend à merveille, en grain et en parti pris. Au Séchoir, parfait pour une aridité séminale, ce sont deux glaneuses qui jouent, contraintes par leur seule volonté d’une ligne musicale minimale. Leur dynamique de jeu reste aussi étroite que votre gorge à l’approche d’une meute de dobermans. Et dans ce goulot sonore, les deux musiciennes forcent la contrainte à rendre la sienne de gorge. Bourdon têtucousmatique pour Lise Barkas versus polémique electro-miniature. La tension obtenue bouge les lignes à sa convenance, musculeuse et erratique, sous contrôle mais pas sans visibilité. Le travail des pédales d’effets de Maria Laurent amènent peu à peu ce set expé sur le terrain d’un dancefloor lunaire. Déconstruit, patiemment déconstruit. Prodigieusement efficace. “extatique”, entend-on dans le public.
Tizia Zimmermann
& Pablo Lienhard
Seconde passe d’armes de l’aprem. Minimalisme toujours, infra-limite encore. Mais la tension gérée par le duo suisse est plus acide, plus uniforme et monolithique. Pas de granit pour autant, hein, la Bretagne est assez loin des Vosges dont la ligne bleue sert de fond de scène à ce de set. Bref, non, donc, pas de monolithe imposant ici, mais la classe du marbre italien peut-être. Avec des veinures qui éclairent, sillonnent et tracent dans l’œil mille récits inventés. Récits où les strates de musiques se superposent, s’entremêlent dans un bazar splendide qu’on pourrait voir plier sans rompre. Les aigus joués à l’accordéon, en début de set, par Tizia Zimmermann débattent avec l’électronique sereine de Pablo Lienhard. Si on tape dans la forme plus habituelle d’une enveloppe sonore élargie progressivement, les basses finissent par dégager avec une classe certaine les bordures. Peu à peu, rien ne se gâte et tout s’ouvre, peu à peu, pour un ostinato aussi lent que Chris Froome dans le dernier Tour, mais plus riche encore, plus majestueux surtout.
The Punk And the Gaffers
Toujours cool, face à une ancienne génération de musiciens, de pouvoir traiter de cette foutue impression : improviser, c’est trouver des soluces à cette satanée question de la vie par accident. On le sait personne ne demande vraiment à débouler sur cette bonne vieille terre, comme dirait Haddock. Lui réglait ça à coup de whisky, ces 3 punks gaffés l’étudient à grandes rasades d’inventions spontanées. Bien sûr, l’âge et l’expérience font beaucoup pour la beauté patente de ce set, calé entre impro et contemporain par Kalle Moberg, pourtant le môme du trio. Môme mais pas effrayé par le gap générationnel. Bonne intuition que cette réunion à son initiative. Philipp Wachsmann a toutes les attentions du monde à créer. Paul Lytton revisite son drumming comme un ashkénaze repasse son Talmud : avec calme et malice. Rien de dispendieux dans le rythme mis en jeu, aucun geste gratuit, juste l’essentiel. Cette musique explose alors dans sa densité désarmante. Le geste, bébé, tout est dans le geste. Jamais direct, jamais efficace. Pesé, pensé, exécuté mille fois auparavant, joué pour les mille fois prochaines. C’est sans doute là, avec le soin vénère de la mélodie dont ne se défait jamais Moberg, que réside la clef de ce concert magnifique. L’instant seul pilote, accroché qu’il est à la culotte de l’éphémère. Du son, de sens. Pas la peine d’en rajouter, Maxwell.
Rhombe
Extension du domaine de forage. On parlait d’expérience juste au-dessus, Julien Boudart, Toma Gouband et Audrey Chen montrent l’importance de la technique dans l’invention du paysage.
Ghosted
Premiers grooves identifiables du festival, la fraction Jazzy de la rédac de ce magazine est comblée. Hors ceci, ce trio a la facette radicale. Et multiple. Jazz ? Oui. Kraut ? Oui aussi. Hypnogood ? Oui surtout. Dans ‘Ghosted’, il y a ‘Hosted’. Et accueillant le trio l’est haut la pogne. Obsessions rythmiques rebattues, patterns pendulaires et suspendues au-dessus du vide. C’est généreux dans le produit, gourmand sur la langue. Accueillante aussi l’électronique déployée depuis le combo guitare/cabine Leslie par Oren Ambarchi. Commentaires sonores, drones qui contrepointent comme un téton dans le froid matinal, sagacité des grands espaces dont les paysages bégayent. Voilà pour l’ambiance où tout ce qui est joué s’emboîte et s’imbrique à merveille. Le discours du concert, c’est celui, réduit au meilleur du moelleux, de la contrebasse de Johan Berthling propulsée littéralement par le drumkit d’Andreas Werliin. La rythmique entendue avec Gustafsson dans Fire! ne fait pas dans le surplace attentiste. Rien ne semble être épargné par le mouvement commun du groupe. Mouvement nécessaire, uniforme et psychotrope. La jonction du trio se fait dans la douceur de sa musique, là où les musiciens avaient déjà nichés leur savoir, leur faconde et leurs idées. Dans ce fameux coin secret du Motoco où les spectateures sa cachent pour écouter vibrer les fenêtres de la salle. Pour ajouter du bruit, pour parfaire de grain la musique. Pour le plaisir, mon cher Herbert, pour le plaisir.
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Guillaume Malvoisin
photos © Alicia Gardès
aliciagardes.com / instagram
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œuvres exposées au Séchoir © Matthieu Stahl : instagram
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