Cluster Table

Benjamin Flament, percussions ⋅ Sylvain Lemêtre, percussions

Interview. Rencontre à Dijon, mars 2022
Consortium Museum.

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Cluster Table en concert au Consortium Museum © Boris Masson

On commence par une remarque stupide ? Cluster Table, vous avez un retour de hype à fond en fait, c’est super malin.

Sylvain Lemêtre : C’est malin, hein ? Non, on ne l’a pas vu venir. Nous, on aime les clusters parce que c’est ce qui est bon, dans la musique, quand ça gratte et que ça racle un peu. Ce qui est rigolo, c’est qu’au début des concerts, on avait un peu préparé le public à comprendre ce que c’était un cluster dans la musique. Là, tout le monde savait précisément ce que ça signifiait.

 

D’où vient cette envie d’avoir deux sets de percussions face à face ?

Benjamin Flament : De notre rencontre au sein de Magnetic Ensemble, le projet qu’avait monté Antonin Leymarie. On ne se connaissait pas, je suis arrivé avec mes trucs, il est arrivé avec ses trucs. On se zieutait l’un et l’autre : “ah, il a ça, dis donc ! Tiens, c’est…”

SL : On ne connaissait pas du tout. Je ne t’avais même jamais entendu jouer.

 

Est-ce qu’il y a des sets spécifiques à Cluster Table ou l’idée c’est de venir à chaque fois avec des choses jouées dans d’autres formations ?

BF : Mon set de percus ne bouge plus maintenant comme tout est sur micros et capteurs. Aujourd’hui, j’ai un set qui est fixe avec des éléments de batterie, et sur Cluster, j’ajoute des éléments, des gongs, des cloches, ces cymbales qui me permettent de rejoindre, par moment, Sylvain dans ses sons. Mon set est plutôt électroacoustique et celui de Sylvain, totalement acoustique.

SL : C’est ce qui nous a plu mais le point de départ, c’est vraiment la connivence rythmique qu’il y avait dans le Magnetic. Tu sais, le « qui se ressemble, s’assemble ». Je suis très orchestral dans les sons et purement acoustique. Benjamin, lui, est, comme il le dit, électroacoustique, comme un guitariste le serait. Il a besoin de son ampli pour faire le son mais pas que. Tout ce qu’il a pu ajouter à son set est très très intéressant dans l’enveloppe sonore de ce qu’on produit, justement quand on joue des clusters. C’est un peu notre marque de fabrique, cet aspect à la fois électrique, rugueux, granulaire et en même très pur du son acoustique. C’est la résonance, le mélange des peaux, des métaux, des bois, des sons un peu traités. Mais pas tant que ça, comme ils sont sonorisés mais ils sont seulement modifiés par la sonorisation.

 

On pourrait penser, en voyant votre installation, à une sorte d’établi, d’immense work in progress. Les choses sont-elles ultra précises ou s’inventent-elles encore malgré la contrainte de vos instruments ?

BF : Il y a des choses qui s’inventent encore, on découvre encore des sons. Ce qui est marrant, c’est qu’on est allés très loin dans la préparation de nos instruments et maintenant, sur l’instrument qui est fixe, je fais comme un pianiste qui jouerait du piano préparé. J’ajoute des objets sur cet instrument et du coup je découvre.

SL : Mon set est fixe parce que cette table-là, je l’utilise pour mon solo. Avec Cluster, je fais comme Benjamin, j’ai mis des cloches tubes, une plaque tonnerre, un tam-tam chinois derrière. Il est quand même beaucoup plus étoffé. Il y a cinq, huit bols en plus… Mais quand même, ça commence à se figer dans le temps, cette histoire et je commence à vraiment à avoir développé un langage par rapport au set. Ça devient un peu mon instrument, quoi. Comme Benjamin fait avec les équerres, les bols…

 

Vous considérez donc vos sets comme un instrument unique ?

SL : Oui. Un batteur ne dira jamais : “je joue de la caisse claire, de la grosse caisse et du charley”. Il joue de la batterie. Nous, c’est un peu pareil, on joue nos sets de percu, sans trop savoir les baptiser autrement que comme une brocante balinaise de luxe.

 

C’est quoi les influences musicales de Cluster Table ?

SL : Je viens de la musique occidentale, contemporaine, écrite, donc je manipule les sons, les nuances, les modes de jeu, les matériaux. Je n’ai pas trop fait de jazz mais beaucoup de musique traditionnelle afro-cubaine, africaine, iranienne, et j’aime bien les polyrythmies. Cluster, c’est donc le plaisir de manipuler des rythmes en utilisant des sons d’orchestre, à la fois ancestraux ou très recherchés, très savants.

 

Est-ce que vous faites partie de cette mouvance actuelle qui dit vouloir chercher cette fameuse transe musicale ?

BF : C’est marrant parce que quand on a joué à Tribu avec Space Galvachers, tu as posé cette question de la transe. J’y ai repensé après, et c’est vrai que le mot revient partout, tout le temps.

SL : Non, je n’ai pas du tout l’impression qu’on soit là-dedans. On adore tous les deux le groove, la pulsation, on adore les sons répétés, les grosses caisses, il n’y a pas de problème mais… Depuis la nuit des temps, des gens jouent des sons graves sur tous les temps et ça ne s’est jamais appelé de la transe. Enfin, si, les ethnomusicologues ont appelé ça de la transe mais ils le font parce que c’est agréable. Que l’être humain aime ça, les choses répétées. Parce que ça aide à danser, que ça ritualise l’émotion donc c’est ça qui nous plaît. Après, on ne va pas se dire qu’on fait de la transe. En fait, ça répond à une pulsion toute simple : c’est qu’on adore ces sons. Alors on les mélange et on les joue. Et plus on les joue et plus on a envie de les jouer.

BF : Je suis d’accord.

SL : Je pense qu’on est aussi influencés en fonction du contexte dans lequel on joue. Si on joue dans un festival de jazz, on va, peut-être, faire un peu plus précieux, un peu plus retenu. Si on joue dans une fête ou pour un after, peut-être qu’évidemment, on ne jouera pas du tout la même musique. Mais, c’est un peu comme pour tout le monde, on s’adapte en fonction des gens qui nous font face.

BF : De l’énergie qu’on va ressentir.

SL : Ce discours-là : « est-ce que c’est de l’improvisation, de la musique contemporaine, de la musique trad, de la transe ? Est-ce que c’est intello ou pas, est-ce que c’est hermétique ou pas ? », ce n’est pas notre question. Cluster, ce n’est pas un groupe de styles, c’est une aventure.

 

Tu parles d’énergie, d’où vient votre énergie commune ?

BF : Nos deux tables, face à face, c’est une grande aire de jeu unique et puis il y a l’œil. À chaque fois, il y a truc dans les yeux de l’autre, un truc un peu malin.

SL : Un peu malicieux. Pour notre premier concert, à Paris, à l’Atelier du Plateau, on jouait en angle droit : “tiens, il faut que les gens puissent nous voir un peu de trois quarts”. C’était bien, ça sonnait bien. Mais face à face, ça devient un ping-pong d’énergie.

 

Justement, dans ce jeu très physique qui s’impose, est-ce qu’il y a un piège de la surenchère qui pourrait vous guetter ?

SL : Il n’y a pas trop de compèt’, c’est ça qui est cool. Après, il a des personnages qui se dessinent très clairement. Mais c’est à l’image de notre personnalité je pense, sans être lié au set. Après, ce que je ressens c’est qu’évidemment, il y a un aspect, comme le disait d’ailleurs Anne Montaron, qui a enregistré le set de l’Atelier pour son émission À l’improviste, il y a un aspect visuel très démonstratif. Démonstratif au sens…

BF : Graphique. Visuellement, c’est hyper beau.

 

Vous prenez ça en compte ? Il y a une harmonie visuelle très forte entre vos sets.

BF : Non, quand on veut mettre nos instruments, c’est “ah, il me reste une petite place là”… Ou alors, on regroupe des natures de sons.

SL : Je reviens un peu sur ta question du début, tu parlais de l’enjeu de la surenchère entre Benjamin et moi. Je suis particulièrement empathique quand je joue de la musique et quand j’improvise. Alors, évidemment, quand il y en a un qui fait un truc, on a envie d’aller dans le même sens. Et d’en rajouter une couche. Mais ce n’est pas tant pour faire mieux ou plus vite ou plus fort. Il pourrait y avoir cette compétition, on est deux percussionnistes. Mais ça ne se joue pas là.

BF : Quand on répète, quand on bosse, il y a plein de moments où on essaye de se dire “essayons de bosser sur deux plans différents” parce que ça, ça fait que le spectre devient hyper large et ça on se force un peu à la travailler parce que ce n’est pas naturel. Réussir à dire “ok, comment je vais me placer par rapport à ce qu’il est en train de faire ?”, c’est le truc sur lequel on est plutôt attentifs.

 

Toute dernière question, c’est quoi la place du silence dans Cluster Table ?

SL : Il est là tout le temps, on joue avec.

BF : À certains moments, quand on arrive à faire un super cluster, tout de suite, on se regarde et là, on laisse le son aller jusqu’au bout.

SL : Ce qui est certain, c’est que le silence est un espace dont on doit prendre soin tout le temps. Il faut en prendre soin, on sait qu’il faut aller le chercher parce que baisser le bras, laisser tomber la baguette sur les instruments qui sont en face de nous, c’est tellement facile. Je ne dis pas que c’est facile ce qu’on fait mais c’est tellement facile qu’évidemment il faut parfois savoir écouter le silence.

— photos © Boris Masson (2022)


Propos recueillis par Guillaume Malvoisin au Consortium Museum, le 3 mars 2022.

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