Fantomes
avec vue
Extraits d’un feuilleton sonore inédit de Daniel Scalliet.
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Pendant le confinement imposé par le coronavirus et généralisé de mars à mai 2020, Daniel Scalliet écrit un poème par jour. Il passe commande également, sous forme de carte blanche, d’improvisations à des amis musiciens. Les mots et les sons sont réunis, nait alors une collection d’instantanés éclairés, laconiques et sensibles dont voici quelques extraits, livrés ici en 3 épisodes. Passez votre souris ou votre doigt sur les chiffres et les textes ci-dessous et les fantômes apparaitront.
« Nous ne nous étions pas dit grand-chose, mes camarades et moi, dispersés entre Dijon et Toulouse. Le confinement attisait nos solitudes. Mais notre silence fut bref. Ils m’envoyèrent des petites pièces sonores, morceaux choisis, improvisés, concoctés dans le secret des instruments de chacun. Et j’écrivis un texte par jour, aux aguets, sur une table haute de cuisine. Et naquirent ces poèmes en musique. Et je sentis leurs épaules proches. Et un soulèvement léger. Nous n’étions plus affairés. Nous n’étions plus ensemble. Mais nous restions intimes. Entre un corps empaillé, une taxidermie cérébrale et une sidération proche du fantôme, nous avons soufflé nos braises tenues à l’écart. Avec nos poings. Et nos bulbes. Et notre beauté sur des ruines avec vue. —
Daniel Scalliet, février 2021.
1.
19AVRIL – 16.26
avec Fabien Duscombs, batterie
20MARS – 19.06
avec Marc Maffiolo, sax basse
24MARS – 20.55
avec Laurent Paris, percussions
textes Daniel Webster Scalliet
mixage Cyril Petit
Sur les murs, aux quatre coins cardinaux, façade,
Fenêtres, portes et lunettes, la vision première
Est celle de l’enseveli, d’un clown sur gravats,
Sortant son poing d’un sourire large, passager
Permanent de la mise à jour d’un temps révolu,
Camarade de débris, amant de poussière,
Papillon lourd dégommé en plein vol, in-tranquille,
Batteur en jugulaire et maître des décombres
Dimanche 19 avril 2020.
2.
4AVRIL – 16.46
avec Fabien Duscombs, batterie
23MARS – 19.38
avec Aymeric Descharrières, sax baryton
9MAI – 13.41
avec Sébastien Bacquias, contrebasse
textes Daniel Webster Scalliet
mixage Cyril Petit
Je ne veux pas de rêve interprété, je veux un « nous »
En terre ferme, ici, soumis à ses seuls tremblements,
Attaché à son errance, conscients de ses racines
Et de son lierre spontané, envieux de sang mêlés,
Magnifique bâtard atteint d’incomplétude.
Dimanche 28 mars 2020, Ancey.
3.
6AVRIL – 16.51
avec Marc Maffiolo, sax basse
1AVRIL – 16.41
avec Mathieu Sourisseau, guitare
13AVRIL – 17.02
avec Laurent Paris, percussions
textes Daniel Webster Scalliet
mixage Cyril Petit
Il ne s’agit pas de se repaître d’un mensonge
Mais bien de s’appliquer à faire vivre un tableau,
Mouvant, articulé, hirsute et débraillé, parcouru
D’une colère bienveillante, débordée, malaxée,
Un tableau d’imprudence, une clameur dépourvue
De frontières, frappée d’irrévérence, généreuse,
Touchée par la joie de l’épaule et des lèvres,
Un orage dans une paume, un vertige dans l’autre.
Mardi 5 mai 2020.
Venu au spectacle par la porte des chansonniers, Daniel Webster Scalliet en conserve la frontalité du brailleur public. De mère ricaine et de père français, il affectionne le chant anglo-saxon et la poésie française. Depuis 2006, il explore, en tant qu’auteur compositeur, un territoire plutôt rock, folk hybride dans son origine, et résolument blues dans sa structure. Projet Vertigo, The Rainbones, Facteur Sauvage, Mocking Dead Bird sont ses groupes de cœur et d’épaule. Ses influences regroupent dans leurs syncopes Leonard Cohen, Nick Cave, Pablo Neruda et Gil Scott-Heron, entre autres génies des climats.
Saltimbanque et homme de troupe, il rejoint, fin 2007, la compagnie 26000 Couverts pour y être, tour à tour ou d’un même tenant, technicien, chanteur, auteur-compositeur, régisseur général et directeur technique de la compagnie. De 2012 à 2016, il co-dirige, avec Guillaume Malvoisin, Les Mécaniques Célibataires, où il dirige la création de Le Noyé le plus beau du monde d’après une nouvelle de Garcia Marques. Le poème est son fer de lance, forgé entre spoken word, murder ballad et poésie sonore. En mars 2020 naît, autour de ses textes, Fantômes avec vue, une collaboration avec des musiciens improvisateurs venus de Dijon et du collectif toulousain Freddy Morezon. Ce feuilleton sonore paru ici en 2021 est la 3ème collaboration entre LeBloc et Jazz à Poitiers pour leur Diagonale, ici en partenariat avec Freddy Morezon.