Leon Phal

Jazzman or not jazzman ? Léon Phal ne choisit pas. Techno, house, rock ou jazz, c’est no limit. Rencontre avec un sax à la française. Carré, multiple et bien mis.

par | 6 Mai 2021 | interviews

Léon Phal Quintet

Léon Phal en plein kiff à Nancy © Lucie Widloecher

Ton disque s’appelle Dust To Stars, c’est quoi ta ref, plutôt Stardust ou Ziggy Stardust ?

J’ai toujours adoré David Bowie. À la base, Stardust c’était pas forcément pour le standard mais pour le message : poussière d’étoile. On est tous faits de la même matière et il y a la symbolique du cycle, des choses qui se créent et qui disparaissent. D’un point de vue musical, la symbolique, ce serait comme un relais, une passation entre plusieurs époques, à l’intérieur d’un même projet et d’une même esthétique pour voyager dans plusieurs périodes. On a une unité de son, et on traverse plusieurs grooves de plusieurs époques. À l’intérieur d’un même morceau, on peut faire de grands morphings.

On a pu lire que tu préfères quon ne te décrive pas comme jazzman. Comment veux-tu qu’on te considère ?

Comme un artiste, comme un musicien curieux qui n’a pas forcément de frontière. J’ai surtout fait des études pour pouvoir me libérer des contraintes techniques, théoriques, de composition et de performances. Et pouvoir accéder à n’importe quel style de musique. J’adore la musique jamaïcaine, le hip hop, le jazz bien sûr, le rock, la new wave, la techno. J’aimerais ne pas me priver de les jouer. Souvent, quand on dit qu’on est jazzman, on est catégorisé. Du coup, quand on sort du côté jazz, on est un peu décrédibilisé. On est tous nourris d’énormément de choses différentes, c’est bien qu’on puisse les exprimer sans être jugés.

Tu sembles un peu vénère contre cette histoire de catégories ?

Ça vient aussi de l’époque dans laquelle on vit. Même avec les genres, ça veut plus rien dire. Homme, femme, c’est pas binaire. C’est aussi ça pour la musique, je pense qu’on libère certaines choses dans notre façon de voir la musique. Le jazz peut être vachement vieillot dans la manière de penser, qui est vachement poussiéreuse. C’est ce que m’a dit Alex Dutilh : « faut qu’on dépoussière ».

On voit cependant que t’as quand même des influences venues du jazz traditionnel. Ne serait-ce qu’avec la pochette de cet album très marquée années 30, non ?

Foncièrement, je suis quelqu’un de très classique. Si je pouvais m’habiller tous les jours avec un costard comme mon grand-père le faisais, je le ferais. On m’appelait papy quand j’étais au lycée. (rires) Mais après, les pochettes de disques qui m’ont beaucoup inspiré ce sont celles des albums de Charlie Parker et celles des albums du label Blue note. J’ai travaillé avec Mathilde Bourdet, une artiste qui est fan de Bauhaus et du style des années 20/30. On a essayé plusieurs trucs. Finalement, je lui ai laissé carte blanche. Elle a essayé de retranscrire ce qu’elle a entendu de mes maquettes. Et ça joue complètement, je trouve. Même si c’est un peu vieillot comme esthétique, ça a toujours quelque chose de moderne.

Tu parles de narration dans Dust To Stars, c’est quoi l’histoire ?

On a essayé de faire une narration dans chaque morceau, l’idée c’est de pas partir  dans tous les sens ou alors si on change d’ambiance que ce soit fondé et musical. Dans le jazz, beaucoup de personnes, au moment de l’impro, partent complètement à l’opposé de ce qu’ils avaient composé. Pour l’auditeur, c’est quelque chose de perturbant. Tu commences à être dans une ambiance et on te catapulte dans une autre sans crier gare. Et moi, cest ce que j’aime pas trop dans la musique. J’aime bien quand il y a une unité et l’unité elle est faite par la narration.

Parmi ces narrations du disque, celle que tu kiffes le plus ?

J’ai plusieurs coups de cœur. Le premier, cest Dust to Stars. Pour moi c’est le le plus gros pari du disque. Quand je parle de passation sur la poussière d’étoile c’est faire un clin d’œil au jazz fusion des années 80, dans la manière de jouer du sax, pour terminer sur de la house. C’était un pari très compliqué. Bien sûr, jadore Make it Bright et l’autre coup de cœur serait Like A Monday. Les couleurs sont clairement inspirés de Roy Hargrove pour moi, comme un petit hommage.

— Make It Bright (Live Duc des Lombards, 2021)

« Comme un artiste,
comme un musicien curieux
qui n’a pas forcément
de frontière. »

Tu l’as dit il y a de la house. Comment tu fais la jonction entre le jazz traditionnel et cette vibe electro ?

En grande partie avec Gauthier Toux, le clavériste, grand fan de techno et super jazzman. La sonorité qu’il apporte donne la touche électro, celle des synthés. Ça vient aussi du son de la batterie et du traitement de la batterie qui rappelle un son de clap de batterie 808, le son par excellence électro de batterie.

Qu’est ce qui a changé par rapport à Canto Bello, l’album précédent ?

C’est beaucoup plus groove que Canto Bello qui est plus un album mélodique. Il y avait quand même des tourneries mais Dust to Stars c’est quand même beaucoup plus penché sur le groove.

Ton père, c’était un rockeur. Et toi, tu choisis le jazz.

Parce que j’adorais le sax. J’étais à l’école et j’ai commencé avec la musique classique. Pour avoir une porte dentrée dans la musique plus actuelle, j’avais pas d’autres choix. Jai décidé de faire du jazz justement pour commencer à m’émanciper de ce rôle d’interprète du musicien classique et de devenir autonome, compositeur, arrangeur et de jouer exactement ce que j’avais envie de jouer. Ce qui ne m’empêche pas de faire du rock. Ce matin, j’étais avec un gros label de pop parisien pour enregistrer un solo rock années 80. Et jadore, c’est ce qui fait ma diversité. C’est ce que je te disais tout à l’heure, j’essaie de pas me mettre de frontières. Donc j’ai pas fait de rock, c’est pas ma spécialité mais j’adore en faire.

En 2019, tu remportes le tremplin Nancy Jazz Pulsation. Tu vas forcément me dire que c’était une super opportunité mais au-delà de ça, ça t’as apporté quoi ?

De la visibilité. Les gens ont peut-être plus cliqué sur ma page Facebook quand ils ont vu que j’ai gagné ça. Peut-être plus de vues sur Youtube et bien-sûr de fil en aiguille, une structuration du groupe. À Nancy Jazz Pulsations, il y a une équipe qui s’occupait du quintet, qui s’occupait de prendre nos dispos, de trouver des dates, de parler de nous aux professionnels. Ensuite on gagne Jazz à Vienne, ça nous ouvre les portes des festivals affiliés. Du coup, ça nous apporte des dizaines de dates dans de très beaux lieux en France. Via Nancy Jazz Pulsations, on a eu une touche aux Duc des Lombards, à Paris. C’est très important pour la carrière d’un jazzman de jouer au Duc.

« Jai décidé de faire du jazz pour commencer à m’émanciper du rôle d’interprète du musicien classique. »

Dust To Stars de Leon Phal

— Dust To Stars, sorti le 30 avril 2021 sur Kyudo Records.

On parle de scène mais ce disque-là, tu l’as pas encore défendu en live. Si on fait un peu de la science fiction, tu t’attends à quel genre de feedback ?

J’espère que les gens vont se lever. Même s’ils sont obligés de rester assis, c’est tout ce que je souhaite. Après qu’ils jettent des tomates, je m’en fous. Du moment qu’ils se lèvent, je veux bien.

C’était quoi la recette magique du quintet de Léon Phal ?

C’est lalchimie. Chacun a une personnalité au fer trempé et une âme de producteur. Zacharie Ksyk, qui est mon frère d’une autre mère, on s’est rencontrés quand on avait 16 ans. On a développé une complicité, notamment pour le sax et la trompette. On est souvent très soudés dans la vie et dans la musique, ça se ressent. On a pas besoin de se parler pour comprendre ce que l’autre pense. C’est juste des regards et des gestes, très peu de mot. Le fait de se voir très peu, ça fait aussi partie de la recette de ce groupe. Chacun habite très loin des autres. Nous, on est à Genève avec Zach. Gauthier et Arthur sont à Paris et Rémi est à Agen. C’est très compliqué de se retrouver pour travailler ensemble. Ce Dust to Stars a été préparé en 5 jours. Ça rend la création plus intense. Tout le monde est super focus.

Justement, dans ce quintet, comment ça bosse ?

Les compositions, c’est moi qui ramène. Parfois les morceaux sont totalement terminés mais ça, c’est assez rare. Je suis quelqu’un d’assez ouvert et j’apporte des thèmes, des grilles d’accords, des suites d’accords, des mélodies et des lignes de basse. Les ingrédients sont ramenés par moi et chacun met la main à la pâte. Après on se retrouve avec un gâteau qu’on a fait tous ensemble.

Selon toi « il n’y a pas que les fans de jazz qui devraient écouter du jazz ». Imagine quelqu’un qui ne connaît rien au jazz mais qui aime beaucoup ton disque. Tu lui conseillerais quoi comme autres refs pour continuer à aimer ça ?

Tu me poses une colle là. (rires) Je vais te citer des amis de Genève. Mohs. c’est le groupe que Zach a monté. C’est un quartet que je trouve génial qui est très original, très beau. Il y a aussi un producteur que j’aime beaucoup mais qui n’est pas jazz, il s’appelle Kiefer, il vient de sortir un single. Sinon, il y a Morgan Guerin, un jeune saxophoniste new-yorkais, il fait de la basse, il est producteur, il fait du clavier, il fait un peu de tout et c’est un monstre.


propos recueillis par Ellinor Bogdanovic, avril 2021

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