« Quand l’incendie est la, avertir de l’incendie a venir, n’a guere de sens. »

Soucieux de produire de la pensée dans une semaine troublée, PointBreak a sollicité deux voix amies, dans un entretien et une tribune, pour mettre en perspective, angoisse et colère. Premier texte, une tribune à rebours des labours signée par Vincent Chambarlhac

« Point break », c’est d’abord un point de rupture, un basculement. La rédaction de PointBreak l’entend d’ordinaire groovy. Là, une commande sur l’actualité de la campagne électorale, et la culture en son sein, absente. Une vue sur la campagne. Faut-il un texte d’intervention ? Je ne crois pas. Quand l’incendie est là, excipé le devoir de vigilance, avertir de l’incendie à venir, n’a guère de sens. Il faut soutenir les pompiers in dubious battle, voter tout en chantonnant The Ghost of Tom Joad. Puisque « this guitar kill fascim ».

Vue(s) de Campagne(s)

Je n’ai pas de leçon à tirer au feu de l’événement, chacun choisit son vote. C’est une vue de campagne, de cette campagne où je vis, que j’arpente, qui motive ce texte. Les campagnes ont voté RN, on le sait, on l’assène sur X par des cartes à la gamme chromatique saturée de brun. Le surmoi du cartographe assène des leçons. Les fachos, ce sont les ruraux. Soit, mais ici une anecdote. Dans une portion rurale de l’espace bourguignon, une institution culturelle où, à la faveur d’une énième réflexion sur l’action culturelle, un émissaire du gouvernement surgit, macronien bardé de certitudes du temps où la nomination d’un premier ministre devait servir d’ersatz d’une pensée des territoires -les gilets jaunes n’étaient plus depuis peu. Un émissaire donc, qui d’un aplomb tout métropolitain et gouvernemental : pour comprendre l’action culturelle en campagne (entendre chez les ploucs), relire Barrès.
Tout est là, dans un monde administratif de la culture au ras du sol des territoires, saisi par l’abrupt du propos matinal qui augure d’une purge journalière, qui reste coi, médusé, et muselé par le respect de la tutelle. Tout est là. Barrès, les déracinés, la naissance du fascisme littéraire qui ici et depuis 2017 au moins construit la politique culturelle du ministère en région. L’autre, c’est le gars du coin, celui des territoires. Il est déraciné -entendre qu’il est resté loin de la modernité et de ses déclinaisons post. Jamais les campagnes ne sont prises comme un espace d’échange, un lieu que l’on traverse, un lieu où l’on vit autrement que comme Raboliot. Un lieu où les cultures peuvent trouver leur sens. La politique culturelle là, c’est celle des racines comprises comme thérapie. On le sait depuis Vichy, la terre ne ment pas. Retrouvons la terre au défaut de la démission des services publics. Le trait est outré ? Dans cette pensée de l’action culturelle par les gouvernements qui se succèdent depuis 2017, il y a tout l’enjeu des subventions, ce biais qui rend (im)possible l’écart, la marge, le bien commun de ceux qui restent et ne sont pas à côté. Si la postmodernité des réseaux et des plateformes a un sens, ce n’est que celui d’abolir la distance ville/ campagne. Ce sont les différences, les solidarités du coin et leurs possibles (concerts, théâtres, spectacle vivant…etc) qui marquent ce que l’on fait culturellement en campagne. Pas un rapport fantasmé aux racines. Dans l’hénaurme d’une pensée assénée au petit matin par une représentante du ministère de la culture, se niche une pensée fasciste de la campagne. Ici fugacement performative, d’autant qu’aucun parti ne remet en cause cette logique.
Ces lignes sont une forme d’hommage à ceux qui, au détour d’un travail sur les haies vives ou d’un plessage, se disent qu’un concert de métal, porté par un musée seul opérateur territorial, serait bien. Ces lignes sont une forme d’hommage à ceux, qui comme Jeanson naguère, usent du spectacle vivant, du hip hop, et du répertoire théâtral, dans ces abris fugitifs des salles municipales, des lieux alternatifs. Les campagnes ne sont pas l’Autre. Le penser est fasciste.


Vincent Chambarlhac

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