« Malboro Bled c’est brutal, sournois. Malboro Bled, c’est d’abord du line-up incorrect. Sax basse, violoncelle et drum kit. Le tout un brin tatillon sur la nervosité. »

sunnyside 25 Malboro Bled

sunnyside 2025
2 jours à reims
— chroniques

[na]
malboro bled

Première soirée à Reims pour pointbreak. Deuxième soirée pour le Sunnyside. Airs de fête, de retrouvailles, premiers éclats et sourires. Le soleil est là. La veille Avishai Cohen imposait sa contrebasse à l’Opéra, pour les concerts du jour, l’Atelier de la Comédie prenait plus de décibels qu’un monologue de Richard III. Deux groupes en scène sous les sunlights des tropismes, et déjà la question de la désobéissance en scène, au-delà du discours des intertitres. La désobeïssance [NA] la revendique dans son nom et son ADN. Dead Kennedys et The Ex en grands parrains punks, l’Éthiopie pour rampe de lancement ou station de retour, le trio a récemment invité Etenesh Wassié pour une soirée flambée en quartet. La désobéïssance, le groupe, lauréat de la session 10 de jazz migration, a pu l’éprouver en scène. La très riche tournée en cours a été vive, pleine d’assauts sonores, de découvertes, et d’explications de textes au long cours en scène. On imagine avec bonheur comment un groupe pourrait renverser son appétit en laissant basculer sa soif de convaincre et planter les crocs dans l’inconvenant et la dissidence offerte si on décide de prendre pied le monde actuel. Expliciter c’est louable, mordre avec consentement, c’est excitant. Punk à faim toujours plus vif que punk à soin.
Les intertitres le trio suivant en fait des morceaux, un, du moins. L’humour faussement naïf y collabore avec une écriture puissante et précise. Bon résumé de ce qu’est le live pour Malboro Bled. Sans doute la désobéissance est-elle cela aussi, se jouer de soi pour faire corps. Du bled, pas de tonton mais avant tout une ambiance à la Lynch. Inquiétante et inflexible. Velours rouge et lumière bleue, matières et bruitisme qui prennent le temps d’installer l’oreille dans un ailleurs, dans un étrange, pour laisse le récit musical se barrer plus loin et nous échapper. Nous écharper, presque ici. Tant la tension préliminaire est physique. La musique inventée par ces trois-là a la gueule de l’enfer des Dardanelles de 1915, la radicalité du post-punk des premiers temps de pluie à Manchester. Malboro Bled c’est brutal, sournois. Malboro Bled, c’est d’abord du line-up incorrect. Sax basse, violoncelle et drum kit. Le tout un brin tatillon sur la nervosité. Ça joue serré comme tout punk band devrait le faire, pour mieux aller venir forer en soi toute tentation mélodique et venir la placer délicatement sous un laminoir. Mais attention, on la connaît plus ou moins cette formule charcutière. On a vu The Thing, On a entendu Fire!. Ici, il y a de la musique et l’espace en plus, notamment grâce à Maxime Rouayroux qui a le bon soin de ne pas laisser rimer drum avec seum. Et dans le quadrillage précis et tendu qu’il met en place, Bruno Ducret et Fred Gastard peuvent jouer ascension et descente d’organe, combiner Meshugah et Pifarély, défaire du blues et casser de la tristesse, suspendre les textures et les éclats, faire débats de pédales et tenir conversation avenantes. C’est furieux, solidaire et impérieux. Dans une rue adjacente à celle de l’Atelier, une affiche 4×3 annonçait le retour en ville, fin novembre, du Roi Soleil de Kamel Ouali. Ouallou, non merci, l’incandescence trône déjà par ici.

ignatius
émile parisien quartet

Rester souple et perméable. À hospitalité, à l’altérité, à l’aspérité, enfin. La quête de mémoire auditive recomposée du trio se situe dans cette trilogie. Quête, née après qu’une phrase de Fly to the Moon se soit accrochée au tympan de Maëlle Desbrosses, dit l’auto-Légende dorée du groupe. Dans cette quête il y a de la pop, du tradicelte, des déphasages savants, des voix fragiles et de l’écrit à la française. Et encore mille autres choses, tant l’empan d’écoute de l’altiste est conséquent. Eleonore Billy et Armelle Dousset, rompues par ailleurs à la musique pour l’image, s’amusent aussi de cela, sérieusement. Assemblant puis décortiquant matière et motifs. Ce décalage entre le son brut des instruments, rendus au cordeau en façade par la parfaite ingénierie sonore locale, et la reverb longue dans laquelle se jouent les voix, donnent du jeu à l’ensemble. Et c’est tant mieux. Le temps fera l’affaire, c’est beau de jouer à la limite. Théoriser ce qu’on joue serait une fêlure et jouer sans penser un peu, une idiotie. Ainsi le trio Ignatius s’allument de petits repères sur son chemin singulier, là un thème enfantin à l’accordéon, bousculé par un arpège têtu au nyckelharpa, ici deux archets frottés sur chevalet en quête d’une beauté alternative. Ces petits repères allumés, apparaît alors une jardinerie extraordinaire. Dans cette collection de fausses reprises, Somewhere par exemple, passent quelques fantômes légers, quelques obsessions souriantes, descendant joliment le flux de l’écriture encore fraîche.
La fraîcheur du groupe suivant a 20 ans. 21, exactement. Pas trop bougé, vingt ans plus tard, Émile et ses mages. Jouant à la limite, eux aussi. Celles des disciplines. Gastro pour ce quartet d’une complicité évidente. Émile Parisien est à Reims entouré de Julien Touéry, d’Ivan Gélugne et de Julien Loutelier. Pralin, Nan au fromage, Chocolat-citron, Coconut race et Pistache cowboy. Gourmandises des titres en longueur de bouche, Mario sur son kart. Tout avance rapide. Tout se joue dans une jazz-clarté bien-née. Drumkit délicat et drive syndical, rondeurs de basse réglementaires, sax qui balance entre la révolution Bechet et le duduk arménien. Cette ligne claire est perturbée de façon bienvenue par les ostinatos impressionnants de Touéry sur Tic Tic, de Gélugne dans la crème de Nan. À jouer avec la crème on finit dans du beurre. Modal tartiné, quarts de tons sautés. Plus loin, VE 1999 est un jazz trip joué à la limite du spot de pub automobile de la même année, pneus lisses et moteur gonflé. En 2025, Touéry, lui, a la main gauche implacable et la droite pas moins inattaquable. Pépite que son Wine Time qui entraîne dans ses secousses un batteur enfin libéré. Alors les fondations réelles du quartet tremblent enfin un peu et se posent là. Plus haut, nous écrivions aussi : jouer sans penser un peu serait imbécile. Émile Parisien a la pensée féconde, et in situ très active à noter son jeu de jambes spasmodique. Par un réseau d’affinités, qui restera forcément mystérieux, c’est le piano qui extériorise cette pensée. Le sax, dont on ne parviendra pas vraiment à résoudre cet entêtement d’une reverb appuyée, jouant de glissades, jolies et éthérées, à la surface des choses.


textes de guillaume malvoisin
photos © Alain Hatat, Vince VDH / Sunnyside festival

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