State Of Shock

Pour la troisième saison d’affilée, PointBreak joue l’entremetteur entre le jazz et les zoomers qui, a priori, s’en contrefoutent pas mal. Alors, on joue le jeu des algorithmes. C’est marrant, tous ces tracks qui émergent des descentes dans SpotiTube, You-Fy et autre AlgoFlash. Ici, Camille Fol redéfinit le jazz-web à coups d’electro-chocs. C’est le deuxième témoignages-vérité de cette saison 3.

par | 21 Nov 2022 | Jazznoob

Jujutsu Kaisen

Le jazz, ça m’évoque des paysages très précis. Loin de Harlem, des jam sessions et de Fitzgerald, ça m’emmène en road trip sur des longues routes vallonnées qui s’engloutissent dans des plaines à perte de vue, et ça me promène dans des pâturages d’un vert saturé où règnent des bovidés colossaux, regard noir et robe aux couleurs de l’automne. En fait, le jazz me fait penser au Cantal. Ça parait certainement idiot, mais ma culture jazz se résout à peu près à Cantaloupe Island de Herbie Hancock. Et dans Cantaloupe, il y a Cantal. Alors j’étais plutôt curieuse à l’idée de tenter l’exercice du Jazz Noob, de me laisser embarquer à l’aveugle dans un univers que j’ai toujours lorgné du coin de l’oreille, un peu par accident.

à gauche, Cantaloupe Island (1964)
à droite, le Cantal (2022)

En commençant mes recherches, je tombe rapidement sur Jazz Radio. Je survole les différentes propositions : Classic Jazz, trop facile, Christmas Jazz, trop tôt, Happy Hour, pas en gueule de bois. Je choisis donc Only Women, histoire de découvrir un peu autre chose que Nina, Ella et Etta.
La web radio se lance sur un Whole Lotta Love repris par Ike et Tina Turner. La voix puissante et sensuelle de la chanteuse prend possession de mes enceintes, le temps de cette reprise torride. L’orchestration est frémissante, elle ajoute une petite touche soul à la version originale de Led Zeppelin. Une découverte qui est loin de me procurer du déplaisir, mais qui, je crois, ne me fait pas mettre les pieds dans le plat du jazz. Je décide d’aller chavirer ailleurs.
Cette fois, m’y voilà. Je suis projetée à Harlem, réfugiée dans un bar enfumé et usé par des nuits fébriles à répétition. La musique s’introduit par un dialogue entre un sax nonchalant, un piano émoustillé et une batterie qui balaie l’arrière salle. Ce sont les premières notes de Hey (Night) Too Blue Ballad of the Fortune Teller. Alors que je cherche Jack Kerouac du coin de l’œil, c’est Langston Hughes qui se présente. Et commence à conter sa tristesse dans un parler-chanter qui transpire le blues : « devrais-je m’emparer d’un flingue et me foutre en l’air ? » Non, s’il te plait Langston, ta mélancolie est trop belle pour être achevée, reste encore un peu.

Ike & Tina Turner

Ike & Tina Turner © DR

Hey (Night) Too Blue Ballad of the Fortune Teller

par Langston Hughes | Harlem In Vogue (2011)

« voilà que les portes de l’outre-monde se referment brusquement, et un certain Randy Weston m’attrape les esgourdes pour y injecter une musique fiévreuse »

Randy Weston, Tanjah (1973)

Je sors d’Harlem, je divague. Tiens, en parlant de vague, voilà que débarque un morceau aquatique au plaisir, dont les bulles instrumentales s’élèvent et disparaissent dans un bain de soleil smooth et jazzy jazz. Beyond the Sunrays, mash-up de Apifera affiche ses sonorités qui me plongent dans un univers organique halluciné et me guide tout doucement vers l’entrée du cosmos. Mais juste avant d’y accéder, voilà que les portes de l’outre-monde se referment brusquement, et un certain Randy Weston m’attrape les esgourdes pour y injecter une musique fiévreuse. In Memory Of se répand dans mon corps alors que ma tête se met à dodeliner par saccades. La ligne de basse est frénétique, hypnotique, ça groove et ça prend aux tripes.
Tandis que je continue à surfer sur le jazz-web, j’entre dans la playlist State of Jazz de Spotify. J’y croise la douceur tropicale de Dust Ball Fantasy par Marcus Strickland, Twi-Life en featuring avec Lionel Loueke, et la langueur communicative de Kurt Rosenwinkel dans First Impression. Je ne ferai pas de commentaire sur ASMR de The Kount et Kaelin Ellis, le titre parle de lui-même (aux millennials, en tout cas).

Rydeen

par Yellow Magic Orchestra | Public Pressure (1980)

Yellow Magic Orchestra © Charlie Gillett Collection/ Redferns

Enfin, un dernier morceau retient mon attention. Il dénote des autres. L’entrée de jeu m’évoque plus la house que le jazz. Les synthés entament une mélodie entêtante, cristalline et kitsch qui fait jaillir des méandres de ma playlist intérieure Rydeen du Yellow Magic Orchestra. Ces deux titres ont en commun d’être de ceux qui changent instantanément ta vie en jeu vidéo. À mon retour de cette excursion sur la planète jazz, je suis complètement étourdie par les mille escales musicales qui viennent de s’enchaîner. C’est clair, mon prochain séjour dans le Cantal fera résonner bien plus qu’Herbie Hancock dans mes oreilles.


Camille Fol

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