Soft Power
Tous les mois, PointBreak joue l’entremetteur entre des millenials et la syncope. C’est marrant et les tracks qui émergent des descentes dans SpotiTube, You-Fy et autre AlgoFlash sont des pépites nouvelles, des échos stylistiques mais aussi des trouvailles revenues d’un âge ancien du jazz. Welcome to the machine. C’est biaisé mais c’est valable. Cette fois-ci, c’est tranquille, feutré, c’est Jazznoob. Septième des témoignages-vérité.
— The Simpsons © Matt Groening
Ça y est, c’est le jour J, j’ai attendu ce moment toute ma vie. Mes mains tremblent, de minuscules gouttelettes apparaissent sur mon front. L’étrange impression que le monde entier a les yeux braqués sur moi. C’est aujourd’hui. Aujourd’hui que je vais enfin pouvoir réellement mettre à profit mon talent inné pour la rédaction, largement salué par la critique pour le superbe Le marché du fromage blanc en Ouganda, étude de marché et réflexions philosophique. Trêve de plaisanteries, vous l’aurez compris, aujourd’hui c’est Jazznoob ! Et le noob du jour, c’est moi ! Je vous laisse vous installer bien confortablement dans votre plus beau fauteuil, Sir.
On m’a gentiment offert un 33 tour de Jimmy Witherspoon pendant les fêtes, ça sera parfait pour débuter mon aventure ! Mais qui c’est d’abord, ce Jimmy, me direz-vous ? James Witherspoon est un petit gars de l’Arkansas, né au tout début de la prohibition et décédé en 1997. Précisément 26 jours après ma naissance. Coïncidence ? 5G ? Allez savoir.
Premier album studio en 1957, Wilbur De Paris Plays & Jimmy Witherspoon Sings New Orleans Blues — ah oui, Jimmy est un bluesmen — tournée US, tournée EU, etc. etc. Autant vous dire que Jimmy n’a pas l’air d’un rigolo. Ce qui nous amène en 1959 et à la deuxième édition du tout jeune Monterey Jazz Festival. Pas de programme, pas de tracklist, les seules instructions de Witherspoon à ses musiciens furent, je cite : « Down Home ! ‘A’ Flat ! » qu’on peut grossièrement traduire par « Du rustique, du bien de chez nous, en La bémol ». Sur les 7 titres enregistrés ce soir-là, j’ai choisi When I’ve Been Drinkin’. Ça parle de boisson, de rocking chair, et de sa petite femme, dans l’ambiance électrique d’un festival californien de la fin des années 50. C’était bien rock’n’roll à l’époque, le blues. Une superbe intro au piano, accompagnée par le son feutré de la batterie, j’ai l’impression que le batteur est aux balais. Jimmy commence à chanter, le public lui répond en criant, un mélange d’encouragement et de remerciements, tout ça a l’air assez intimiste, le public n’hésite pas à commenter les lyrics et à hurler quand le sax entame un solo. 5 minutes d’un bon whisky auditif, solo et voix suave, plus le son des micros à ruban et de la saturation. À déguster sans modération.
— When I’ve Been Drinkin’ (Live at the Monterey Jazz Festival 1959) par Jimmy Witherspoon
—New Orleans Blues, Jimmy Witherspoon et Wilbur De Paris
« Ah oui, ça je connais ! J’ai sûrement dû le name dropper plusieurs fois lors de discussions bégayantes avec mes comparses audiophiles du dimanche. »
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à gauche :
Moanin’ par Art Blakey & The Jazz Messengers (1959)
Après cette première écoute, laissons un peu travailler l’algo. Ce sera Moanin’ d’Art Blakey & The Jazz Messengers, tiré de l’album studio sorti en 1959 chez Blue Note. Belle pochette, une photo avec le visage grave de l’artiste regardant au loin. L’intro en question/réponse entre le piano et les cuivres me dit quelque chose, en effet le titre compte pas moins de 6 millions de vues ! Mon instinct de noob me pousse à faire des recherches sur ce fameux Art Blakey. Contemporain de Witherspoon, jeune pianiste qui fait ses débuts à la petite vingtaine en tant qu’homme à tout faire sur une tournée de son ami Chick Webb. De retour de cette tournée, il se met à la batterie et commence à jouer dans plusieurs formations, dont celle de Miles Davis. Je me vois forcé d’accélérer la cadence, je suis trop long et la boss est furax : « Oublie pas que t’es un noob ! Fais du rapide, du prémâché, on n’a pas toute la journée ! Et puis passe-moi ta clope tiens et va me faire un café ! », me lance-t-elle sèchement. Après m’être acquitté dignement de ma tâche, je reprends ce texte, au bord des larmes. Ici c’est le début des années 50, the Art Blakey Quintet devient Art Blakey & The Jazz Messengers et donne vie à Moanin’. Comme dit plus tôt, certains d’entre vous, compères Noob, reconnaîtrons sûrement l’intro, un beau question-réponse suivi d’une présentation du sax et d’une montée de caisse claire. Puis un mélange d’air et de salive jaillit sauvagement de la trompette de Lee Morgan. La qualité de l’enregistrement n’a rien à voir avec le titre précédent, pour moi c’est d’une transparence folle pour un rec’ des années 50, je vous conseille de vous renseigner sur l’ingé son en charge de l’enregistrement, Rudy Van Gelger. Le groove est bien présent, pas de paroles, des solos à n’en plus finir, ici on met en avant les musiciens, personne n’a plus d’importance qu’un autre, en tout cas musicalement parlant, respect. Moanin’, c’est 9 minutes de jeu, un équilibre tonal parfait quoiqu’une contrebasse un tout petit peu trop en retrait pour mes oreilles de teuffeur. Quelques rapides recherches m’informent que nous sommes en présence d’un titre de Hard Bop, mouvement créé par la communauté afro en opposition au Cool Jazz apparemment représenté par une majorité de blancs. Le hard est plus axé sur la rythmique, ce qui explique que des batteurs comme notre Arty chéri puissent être les « vedettes » dans ces formations, intéressant.
— Art Blakey & The Jazz Messengers (1959)
Lee Morgan, trompette et haute-couture.
Rudy Van Gelder
John Coltrane
Chet Baker
Ensuite on me propose de choisir entre un album de John Coltrane et le superbe La Revancha Del Tango de Gotan Project qui a bercé mon enfance et qui continue de me faire vibrer, de temps à autre. Mais basta, sortons de notre zone de confort ! C’est parti pour le B2 de l’album My Favorite Things de Mr. Coltrane. But Not For Me a été écrit pour un Musical des années 40, repris entre autres par Ella Fitzgerald, Chet Baker ou encore Sinatra. Tempo rapide, contrebasse au centre, accords de piano et batterie à gauche, et le sax ténor de Coltrane à droite, bien en avant. Son plus feutré que sur le morceau précédent, une basse plus présente. Ça groove bien, le t-t-tsss typique est là qui déclenche instantanément chez l’auditeur ce petit claquement de doigt et ce froncement des sourcils, « oui je veux bien un autre cocktail garçon, vous êtes bien aimable ». Le morceau suit son cours, l’ambiance est chaleureuse. Pour tout vous dire, ça incarne typiquement la vision « ascenseur » qu’on peut se faire du jazz, le genre de musique qu’on entend dans les restaurants chics, dans les réceptions, ou à la fin d’un bon film au cinéma. Désolé pour les afficionados, je ne suis qu’un simple noob qui donne son ressenti.
Le petit train du diggin’ numérique reprend sa route et me dépose en territoire familier, Chet Baker. Ah oui, ça je connais ! J’ai sûrement dû le name dropper plusieurs fois lors de discussions bégayantes avec mes comparses audiophiles du dimanche, noobs et autres musiciens à deux francs. Alors oui, je connais, mais je n’ai jamais pris le temps de l’écouter sérieusement, allons-y pour My Queen Is Home To Stay tiré de l’album No Problem. Sorti en 1980, le disque propose un son précis et impressionnant de dynamique, on ressent une nette amélioration de la précision du matériel d’enregistrement. Le piano de Duke Jordan, qui a composé l’intégralité de l’album distribue calmement ses accords, tout en finesse. Tempo plutôt lent, batterie très calme, les balais délicatement frottés sur la caisse claire. Le morceau me fait penser à un club de la Nouvelle-Orléans un soir d’été, un Brandy à la main. J’observe Chet jouer de son cuivre à travers la fumée des cigares. Feutré est ce qui convient le mieux pour décrire ce morceau, plein de classe, parfait !
Prochain arrêt, encore du Chet Baker ! Cette fois-ci, Diane, album de 1985 en duo avec le pianiste Canadien Paul Bley. Bley fût le premier à utiliser le fameux synthétiseur Moog en concert dans la fin des années 60. Je choisis If I Should Lose You, parce que, voilà. Son parfait, le piano restitué sur toute la panoramique, comprenez les notes les plus graves à gauche et les plus aiguës à droite. Pour Chet et sa trompette, la prise est effectuée de plus loin que sur le dernier morceau, atténuant les bruits de souffle et mécaniques de l’instrument. Jolie reverb’ assez longue. L’atmosphère est très calme, l’ambiance est assez mélancolique et pourtant pleine d’optimisme. Libre à l’auditeur de s’imaginer l’histoire que raconte l’œuvre. Petite mention pour You Go To My head, le deuxième morceau de l’album où on peut entendre Chet lâcher son instrument pour se consacrer au chant, à écouter !
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Léo Kaczmarek
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John Coltrane attend son ascenseur
— My Queen Is Here To Stay par Chet Baket et Duke Jordan (1985)
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