les disques du mois
OK podium
oct. 24
par la rédaction de PointBreak feat. Première Pluie
— sélecta de Pierre-Olivier Bobo, Arthur Guillaumot, Sébastien Marchalant Lecordier,
Lucas Le Texier et guillaume malvoisin
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Ryuichi Sakamoto — Coda
— rééd. WewantSounds
À chacun ses fantômes. Ceux de David Bowie dans Merry Christmas Mr. Lawrence ont les traits, taillés à la serpe, du visage de Takeshi Kitano, officier japonais retors et amoureux. Ceux de Nagisa Oshima, qui filme cette idylle, perverse à son habitude, ont la silhouette militaire, donc douloureuse et quasi-silencieuse. Les fantômes de Ryuichi Sakamoto qui met sur bande, un thème clef et signature, prennent la classe des Français musicaux du début du XXe siècle. Debussy en tête. Audible partout sur la première réédition internationale de Coda. La hantant jusqu’à provoquer Sakamoto en duel sur son terrain favori : le piano solo.
— gm
Gioros Katsaros
— Mississippi records
Giorgos Katsaros est grec. Giorgos Katsaros est un cow-boy. Ecouter The Taverne and The Dice, pour sentir les coyotes tourner autour du feu de bois où bout gentiment une cafetière de fer blanc. Et un peu de nostalgie, aussi. Un peu de ce mal du pays qui colle aux bottes des garçons vachers. Mais qu’est donc allé fiche en exil aux U.S.A, cette figure mythique du rebetiko née sur l’le d’Amorgos ? Tracer sa propre légende. Contradictoire, brute et magnifique. Comme les dix titre de ce disque déchirant et obsédant.
— gm
Błoto — Grzybnia
— Astigmatic Records
Les polonais de Bloto tournent aux champignons. Grzybnia, mycelium dans le texte original, illustré cette déclaration à merveille. Depuis trois disques, livrés à l’automne de ces quatre dernières années, le réseau souterrain s’affine et démontre son pouvoir d’extension. Ceci résumé dans la terrible intro de Szatan. Avec Grzybnia, qu’on va poncer comme on aura poncé les précédents, le pouvoir est établi, les substances pérennisées. Ce disque est vénéneux, atrabilaire et, une fois encore, foutrement recommandable.
— gm
Blind Gary Davis — Harlem Street Singer
— rééd. Craft Recordings
Réédition d’un disque sorti initialement chez Prestige Bluesville en 1960, Harlem Street Singer est un must have du Piedmont blues. Né la même année que Blind Blake, Reverend (ou Blind) Gary Davis est un orchestre à lui tout seul dans ses interprétations de gospels – pour qui il a abandonné les textes profanes du bues au milieu du siècle. Harlem Street Singer contient le hit du bluesman, Death Don’t Have No Mercy, repris entre autres par Bob Dylan. Disque hypnotisant, solennel et pur, la guitare de Davis sonne comme un vieux piano de bastringue, sous la voix puissante d’un prêcheur intemporel du blues acoustique.
— llt
Peter Evans — Extra
— We Jazz
Le bonheur, ici, est, qu’au-delà de la signature d’Evans chez une maison de forcenés amoureux comme celle de We Jazz, que le label a réuni ces trois-là. Pas de surenchère pour autant, mais un dialogue qui traverse tout ce que le trio a pu accumuler de musique. Rock, contemporain répétitif, jazz, évidemment. On aura souvent écrit sur la haute technicité inventive de Peter Evans. Un peu aussi sur l’apparente facilité avec laquelle le New Yorkais va tutoyer les sphères du lyrisme cuivré. Ici, encore, il y a un peu de tout cela. Mais avec une forme d’humanité en plus. Quelque chose de l’ordre de la joie. Lancée à vive allure vers un inconnu enchanteur. Extra-ordinaire.
— gm
Abacaxi — Quetzal
— Carton Records
Abacaxi, c’est l’ananas en portugais du Brésil, abacaxi, c’est chaud, épineux mais sucré. Abacaxi, c’est désormais aussi un trio qui délivre des doses de vitamines aussi réglementaires que nécessaires. Le genre de trucs à faire homologuer comme futur vaccin. Pour ce disque, où la thermonucléaire rejoint les expérimentations des peintres coloristes et l’abrasive-pop, Desprez, Riffaud et Pastacaldi jouent une musique puissante, jamais brutale mais, espérons-le, un peu susceptible.
— gm
before You Have Understood — Morphose
— The Bridge Sessions
On l’aura traversé un paquet de fois, chez PointBreak, ce pont transatlantique. Cette version 2.4 du dispositif de ré-union entre Chicago et la France est, à notre humble avis, une des plus belles choses entendues sur la passerelle de The Bridge. Preuve avec cet enregistrement, où le quintet asymétrique et prodigieusement anti-paritaire flotte au-dessus des lois physiques et des clameurs sensorielles. À chaque Morphose individuelle correspond un contrepoint d’ensemble, fédérant un disque hardi et astucieux, délicat et, pour cela justement, redoutable.
— gm
Aphex twin — Selected Ambiant Works volume II
— rééd. Warp
Alors certes, il faudra vous séparer de 58,99 euros pour mettre la main sur cette réédition, si vous choisissez l’option 4 disques vinyles. Mais après tout, on parle ici d’un album — initialement sorti en 1994 — qui a pris un 10/10 chez Pitchfork et qui lorsqu’on l’écoute donne le sentiment de se trouver « sous acide, dans une centrale électrique », dixit son auteur. Bref, ce mois d’octobre est aussi l’occasion de se souvenir, ou de découvrir, que SAW II, comme on l’appelle lorsqu’on est intime, est un pur chef d’œuvre de musique électronique ambiante.
— pob
David Lynch and Chrytabell — Cellophane Memories
— Sacred Bones Records
Cinématique, hypnotique, le mixage de Cellophane Memories opte pour une expérimentation aux contours diffus dans une noisik à la lisière de l’audible avec deux approches du slow tempo : très fort ou très calme. Deux bifurcations possibles pour retrouver l’emphase du silence. Sourde ballade, ce disque nous envoie promener sans refrain, ni chanson, avec, pour dernier souffle, le murmure de Chrystabell, semblable au motif récurrent chez David Lynch : le vent.
— sml / ce texte est extrait du numéro 5 de la version papier du magazine
Various Artists — Haunted Presence
— The Numero Group
Ce qu’on adore chez PointBreak ? Les labels qui font ce qu’ils veulent. Le flou comme devise, et advienne que pourra. The Numero Group est de ceux-là. C’est octobre ? Bien, on sort la bande son parfaite pour courir enroulé·e dans une cape de satin cheap et chaussé·e de crocs en platoc. C’est bientôt Halloween et, faute de marshmallows à la morve de morbacs, on pourra toujours se mettre sous la dents ces 20 pépites délicieuses et fourtrement drôles. En prime, ce disque est un doc sur ce qu’est le son garage : affreux, sale et méchant. Avec plein de réverb autour. Mention au Cemetery d’un rockeur inconnu.
— gm
Teddy Edwards & Howard McGhee
— Together Again!!!! — rééd. Craft Recordings
Les albums en duets dans le bop, c’est la base. D’un côté le trompettiste Howard McGhee, sideman pour Charlie Parker, influence décisive de Fats Navarro, de l’autre celui qui avait croisé le sax avec Dexter Gordon, le ténor Teddy Edwards, se retrouvent en quintet pour ce Together Again!!!!, publié pour la première fois en 1961 chez Contemporary. Parfaite photo sonore de l’époque pour ce band touche-à-tout, avec un gros son de Ray Brown poussé sur le remastering, Together Again!!!! fait voltiger l’auditeur autant qu’un quintet de post-bop, de l’intime ballade Misty au bop speed de Up There et au drive dur de Sandy.
— llt
Secret Six Jazz Band — Fireworks
— autoproduction
Peu de groupes peuvent tenir tête, pour nous autres Européens loin de la Nouvelle-Orléans, à Tuba Skinny. En voici un. Le Secret Six Jazz Band est un octet all-star du ragtime, avec Craig Flory (Tuba Skinny), Haruka Kikuchi, « Dizzy » Incirlioglu (Shake Em Up) et John Joyce (Smoking Time Jazz Club). L’originalité de l’orchestre vient surtout de cette combinaison de deux trompettes, Zach Lange et Nathan Wilman. Après un très bon disque pour les 100 ans du King Oliver’s Creole Jazz Band, les Secret Six nous balancent Fireworks, petit diamant brut de jazz trad’ dans les chants (Marie, If I Could Be With You), les solos (Fireworks) et les orchestrations (Give It Up). La claque, la classe.
— llt
cumgirl8 — The 8th cumming
— 4AD
Le 04 octobre est sorti le premier disque de cumgirl8, The 8th cumming. Je ne comprends rien à cette musique, c’est du post-punk new-yorkais, trempé de références geeks ou sexuelles et parfois les deux à la fois. 4 gadjis dans le vent, de la musique de princesse underground qui sentent le cool.
— ag / Première Pluie
The red Barn — Someday, Now
— Musicwelike Records
Mathias Marstrander est suédois. Mathias Marstrander est un cow-boy. Ecouter Mr. Goomba pour entendre le son du plancher craquer sous les talons alcoolisés d’un joueur qui aurait oublié sa pokerface au vestiaire. Dans la brume parfaite ainsi créée, le lapsteel de Marstrander y est furieusement bousculé pat le sax d’Aksel Røed, qu’on jurerait échappé d’un inédit de Lynch. Ce disque dépeint une americana sale et joyeuse, pourtant. Coincée entre standards repris de justesse et originaux à la classe saugrenue.
— gm
Waaju feat. Majid Bekkas — Alouane
— BBE records
Prends ça le Brexit. Alouane vient effacer les dernières traces d’une autonomie forcée, celles aussi de la crise sanitaire qui l’a précédée. Musique Gnawa, et sept couleurs qui la composent, Waaju agite cela dans ce disque live à la Church of Sound à Londres, blindax, où le groupe est rejoint par un autre artificier de frontières trop fragiles : Majid Bekkas. Résultat comme on l’entendrait : grosses féroces et hypnoses subites. Puis, une surprise, encore un peu au-delà de cela : les braillements et autres exclamations physiques entendues ici ou là sur cet enregistrement.
— gm