Neneh Cherry, massive attaque
Dans l’héritage du jazz, il y a deux types de types. Et c’est encore plus vrai quand ces types sont des femmes. Certaines naviguent dans les eaux profondes de l’histoire du jazz. D’autres prennent le temps des méandres et des marges. Il y a celles qui gravent les codes et les nuances de black dans les marbrures africaines-américaines. Et puis il y a les autres. Celles qui flirtent avec les limites comme on flirte dans les bars, avec une assurance un peu hâbleuse et un sourire bourré de sous-texte. Celles qui savent la richesse du mot ‘pop’ et la folie du mot ‘free’. Celle qui foncent comme un buffalo et sortent des tirades à vous fendre l’âme. Celles qui s’amusent de cela, certaines que rien ne dure assez pour être vécu sérieusement. Il y a celles qui s’assoient sur le top of the cake. Parmi celles-ci, il y a Neneh Cherry. Rare mais toujours dans les bons coups, ringardisant l’idée commune que les femmes fleurissent trop tôt et les hommes vieillissent mieux que le vin. Les femmes avancent, les femmes inventent. Neneh est ainsi. Inlassable, lucide et ravageuse.
Neneh Cherry est afro-suédoise et elle naît à Stockholm en août 1964. En Suède, la sociale-démocratie s’installe pépouze dans les sixties et s’offre comme un refuge à un paquet de jazzmen africains-américains. Ici, on peut être noir, musicien et personne ne vous demande d’en avoir honte. C’est classe. Non, c’est normal. Tant pis pour les States, légèrement encore un peu raciste, on est juste un an après l’Alabama violemment ensanglanté. En Europe, le jazz s’invente en marge et un chercheur impénitent comme Don Cherry y trouve son compte. Il trouvera aussi une famille, une vraie. Fabriquée à la main, recomposée. Obligé pour un musicien de free jazz. Et la petite fille qui n’est pas encore Cherry mais déjà bien Neneh adopte le Don comme daron. Daron et initiateur de dons. Notamment celui qui pousse à la liberté. On verra Neneh Cherry à Londres remuer le génial protopunk-free de Rip Rig + Panic, tutoyer les sommets internationaux en 7 secondes chrono avec Youssou N’Dour, imposer des Stances de Buffalo dans les Charts, faire la peau à Cole Porter, embarquer les futurs Massive Attack sur son premier disque et finir, enfin poursuivre, ces jours-ci avec deux récentes réussites incontestables. Une, Blank Project, en compagnie de Four Tet, le blaze des sunlight de Kieran Hebden. Juste avant, retour à la source originelle, la liberté du jazz poussée au rouge avec The Thing où souffle le boucher suédois, tiens donc, Mats Gustafsson. Ça donne The Cherry Thing, un quartet dont on ne peut que déplorer en couinant de l’avoir loupé sur scène.
[Constant Drudgery Is Harmful To] Soul, Spirit And Health
Out Of The Black
Côté bio, Marianne Karlsson nait donc en 1964, en Suède et dans un bain artistique deluxe. Son géniteur est batteur, son beau-père est trompettiste, sa mère peintre. Alice embraye sur les traditions de famille et bouge à 14 ans pour Londres. Sursauts punk, post-punk et néo-rap. Jusqu’à devenir une figure activiste du New Jack anglais, rap poppy dansant sur la fureur comme sur les prods clinquantes. En gros, à Londres, on danse et on pense. Ce sera le motto de Neneh Cherry, toujours à la pointe du son, du mot et du sens. C’est Rip, Rig + Panic où le jazz se frotte au punk, ce sont des feats avec les filles des Slits et les prémices du trip-hop avec Mushroom, futur DJ de Massive Attack. Pas de frontière de genre, ni de classe musicale. Le son, c’est bon, et le bruit blanc, excellent. Raw Like A Sushi a la prod bien nineties mais aussi les astuces sonores qui posent les enjeux futurs. Place des cordes dans la pop synthétique, spoken-word et joies communautaires de l’Angleterre. La suite sera au même diapason. Jusqu’à ce Broken Politics de 2018, magistral, calé avec un ex-Massive Attack. Bouclage de boucle, innovation constante. La sélection, strictement subjective, des 6 titres ci-dessous devraient suffire, au besoin, à vous en convaincre.
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guillaume malvoisin
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