Szolénn, c’est quoi ?
Au départ, c’est une blague d’un pote. On a découvert ensuite que ça voulait dire « pourquoi pas » en langue hongroise.
« Pourquoi pas », c’est un peu comme ça que tu as envisagé la création de ce groupe personnel, non ?
Oui, ce n’était pas parti pour être un groupe. Je voulais simplement enregistrer mes compos et garder une trace de mon écriture. On a tellement trippé à enregistrer ensemble qu’on s’est dit qu’on allait continuer.
Tu es né dans l’Ain, tu es parti en Allemagne pendant une dizaine d’années, puis tu es revenu en Bourgogne, entre Chalon et Mâcon.
J’ai quitté la France après être sorti du Conservatoire de Lyon. Ce qui m’avait un peu déçu là-bas, c’était l’influence intrusive et clivante du jazz traditionnel. J’adore, bien sûr, mais tous les élèves étaient orientés vers cela. En partant à Bâle puis à Berlin, j’ai touché à d’autres styles de musique. Beaucoup de pop-rock, d’ailleurs, ce qui m’influence particulièrement.
Comment définirais-tu la conception du jazz allemand par rapport à cette tradition dans le jazz français ?
Ce n’est pas tellement stylistique, ça se joue plutôt dans la tolérance et dans la curiosité. En 2010, il y avait une sorte de police du jazz en France, avec le bop, le hard-bop, et si tu faisais autre chose à côté, tu sortais un peu du lot et c’était pas cool. Heureusement, ça change aujourd’hui. Au contraire, je me suis senti à l’aise en Suisse et en Allemagne, pour incorporer toutes ces influences dans ma musique. Les gens sont plus ouverts, tout en aimant la tradition. Si tu leur fais écouter un album de pop, ils vont vite te proposer de faire un groupe autour de ce répertoire.
Dirais-tu que ta manière d’improviser s’est transformée quand tu es parti en Allemagne ? Et comment l’appréhendes-tu maintenant que tu es de retour ?
La découverte de la scène de free jazz allemande m’a beaucoup marqué. On ne l’entend pas forcément dans ma manière de jouer, mais tout ça m’a ouvert l’esprit et m’a permis de désapprendre les réflexes appris au conservatoire. En gros, les patterns jazz qui m’ont fait un peu souffrir, si j’exasgère. Par exemple, à chaque fois que l’on me demandait de faire un solo sur un titre de rock ou de pop, on me disait : « Tu ne peux pas faire un truc un peu moins jazz ?». Je me demandais bien ce qu’ils voulaient dire… Le fait d’avoir fait du free et aussi de la salsa, ça m’a donné d’autres idées.
Comment définirais-tu la musique de Szolénn ?
L’instrumentarium reprend celui du quintet de jazz donc, si on reste dans cet écrin, on va plutôt se dire qu’on s’ouvre à la musique en règle générale. Dans les morceaux, il y a des choses très écrites sur les répartitions des plages d’impro et les thèmes. On s’éloigne du classique thème-solo-thème. J’ai même écrit des parties de piano, sans improvisation. Enfin, c’est un peu orienté pop.
Est-ce que par exemple, comme dans LALA, cet ostinato de piano, ce serait un peu ça l’idée dont tu parles ?
Oui, ça va dans ce sens-là. Il y a deux ou trois morceaux où il n’y a pas de plages d’improvisation, mais des scénarios avec de grandes parties. On passe de l’une à l’autre sans que personne n’ait improvisé, mais il s’est passé plein de trucs. Je trouve qu’il y a plus de choses à dire quand on écrit que quand on improvise sur des grilles. Je tourne vite en boucle, surtout si je suis le seul instrumentiste à vent soliste dans mon quintet. Si on doit faire deux sets, je vais me retrouver à faire 10 fois les mêmes solos et c’est ce que je voulais éviter. C’est un truc que j’ai appris de la pop aussi : faire des morceaux écrits, prendre plaisir sans faire de solo, et se mettre au service de la musique. J’avais envie de faire découvrir ça aux autres joueurs du quintet, qui n’ont pas forcément l’habitude non plus.
Ce serait ça l’originalité de Szolénn ? Cette manière de voir et d’écrire ?
C’est juste de la musique personnelle que j’avais envie de jouer, sans chercher quelque chose d’original. Je m’inspire beaucoup des périodes de ma vie, ou des gens qui m’ont un peu marqué. Les Pantoufles, ça c’est pour mon grand-père. Le Survol de Neptune, c’est le voyage de la sonde Voyager qui va prendre les premiers clichés de cette planète, ce que j’ai vu à l’époque sur la télé. Ce sont de petits clins d’œil aux choses qui m’ont émues.
Quels sont les musicien.nes qui t’inspirent ?
Je suis un gros fan de Michael Brecker, de Björk et d’un groupe de pop-rock islandais, Sigur Rós. Je n’écoute pas forcément beaucoup de jazz, même s’il y a des exceptions. J’adore Aaron Parks. J’aime beaucoup Brad Meldhau – je suis aussi pianiste, et je me sers de ces recettes pour composer harmoniquement.
Tu insistes beaucoup sur la dimension famille, ami, retour au pays… Szolénn, tu le lies à l’idée de racines ?
C’est ma famille d’adoption. Quand je suis retourné en Bourgogne, je ne connaissais que Simon Girard qui m’a invité à venir chez lui. C’est là-bas que j’ai rencontré d’autres musiciens comme ceux de Szolénn. On est vite devenu amis proches, comme si on se connaissait depuis longtemps, alors que ça ne fait que trois ans. Je ne pourrais pas faire un groupe avec des musiciens avec lesquels je ne suis pas proche, même s’ils déchirent le bignou.
Szolénn, tu le vois comme un répertoire fixe et perso, ou comme une formation qui va se développer et faire appel aux talents de compositeur des autres membres du groupe ?
C’est encore trop frais pour le dire. L’année dernière, pour l’EP, j’avais amené 5 morceaux perso. Maintenant, je laisse les arrangements un peu plus ouverts, et je laisse la parole aux amis. Ils font des suggestions, et je tranche. Je sais aussi que nous avons des points communs dans la façon de composer avec Joseph ou Romain. Ce n’est donc pas exclu qu’ils amènent des morceaux et que l’on les retravaille ensemble.
Szolénn est produit par la toute récente Compagnie Champrouge.
Vincent m’a proposé de rejoindre cette compagnie créée avec Célia Forestier. Il y a Szolénn, Brillant Corbeau de Vincent Girard et J.U.NE de Célia. Depuis trois ans en France, c’est quand même ardu de recréer du lien. Rien que pour relier de Mâcon et Chalon ou Dijon, ce sont des villes lointaines en termes de communication et de réseau. Maintenant, vu que Vincent est professeur de contrebasse à Chalon, ça fait du bien. Il a quand même beaucoup de connexions à Lyon, donc ça aide à toucher de plus en plus de programmateurs potentiels.
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propos recueillis par Lucas Le Texier
photo © DR
+ d’infos sur Lou Lecaudey, Cie Champrouge.
Szolénn fait partie des groupes missionnés en 2025 par Big Bang.
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