Maxime Guibert

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Rencontre avec Pierre Janicot,
Monstre de scène et de musique,
Leto Punk Poésie joue à l’Espace des Arts
de Chalon-sur-Saône (71)

par | 29 Mai 2025 | interviews, articles

Commençons par parler de Monstre. Si on devait résumer ce spectacle, et sans doute même ta poésie en général, et la placer sous la bannière de l’optimisme noir, ça t’irait ?

Ça me parle dans le sens où j’adore les choses sombres mais aussi la violence et la douceur. J’adore ce contraste-là. Dans notre monde, il y a des choses qui doivent rester lourdes, importantes et sérieuses et pour autant, j’adore la poésie et ce qu’elle offre de non-vérités, c’est-à-dire d’occasions d’ouvrir le champ des possibles et le champ de notre compréhension. Chacun peut l’arpenter avec son vécu, prendre différents chemins, sans jamais être prosélyte quant à une pensée ou une façon de voir. Je ne veux pas non plus oublier que si je n’ai rien à dire je ne monte pas sur scène, je ne dessine pas dans la rue.

Et cette certitude d’avoir quelque chose à dire, elle viendrait d’où ?

je ne parlerais pas de certitude mais d’envie. Un jour, j’ai vu un spectacle qui a tout déclenché. Je jouais déjà dans des groupes de rock alternatifs, entre autres, et puis un jour j’ai vu une compagnie qui dansait sur un texte de Kerry James. Il y avait ces mots qui étaient là comme une déclaration au monde. Et, en même temps il y avait ces corps qui dansaient et racontaient autre chose, nuançaient le propos de Kerry James. Je me suis dit que je voulais faire pareil, utiliser le corps et les mots avec des intentions différentes. Même si je vis dans ce peuple que j’adore, j’ai envie de crier, de dessiner, de mieux penser, aussi. Alors, je monte sur scène, avec mes doutes, parce que je pense avoir quelque chose à dire, que je n’entends pas souvent ailleurs.

Ta prise de parole, ton travail sont multiples. Mais, plus qu’à une déclaration de rage, ils ressemblent surtout à une déclaration d’amour, qu’on pourrait sous-titrer : pour le pire et le meilleur.

Ça, je le dis : je vais prendre soin de toi, toi qui es en face de moi. Je vais me mettre en colère mais en même temps, je vais te prendre dans mes bras. Certains de mes spectacles se jouent de façon hyper frontale et il y a des textes qui sont très jugeants. Mais je m’auto-juge aussi dans ces textes-là. J’aime ce pays auquel j’appartiens qui a tellement de contradictions, avec un peuple formidable pétri de problèmes et de défauts. Alors, ouais, c’est une déclaration d’amour à ce pays et à ce qu’il a fait de moi, qui a fait j’ai pu être formé au niveau sportif, au niveau artistique, éduqué par des gens incroyables qui font partie de ce…Ouais, c’est ça aussi, je le sens comme ça aussi. Mais, en vrai, je le dis jamais. Là, tu me le demandes alors je réponds…

Tous les langages que tu assembles posent aussi la question de la présence. Celle du corps, en scène, dans la rue ou dans tes expos, dont il y a encore quelques traces à l’Espace des Arts. J’ai l’impression qu’être présent au monde et au regard des autres, c’est aussi quelque chose qui te tient.

Carrément. J’essaye de créer des moments. Précieux, rares et uniques. Et donc, c’est travailler en amont pour créer un présent qui, pour moi, me remplit et a de la valeur aussi pour les gens qui seront autour de moi. De ce présent-là, j’essaye, à mon niveau, d’en prendre soin et de le construire pour qu’il ait de la valeur. Et ça, ça demande beaucoup de travail. Le corps me permet d’aller plus loin dans ce que je veux dire aux gens. Et, surtout, ça nuance les choses, grâce à l’absence de cette barrière de compréhension posée par les mots. On a besoin des mots pour penser mais le corps apporte une puissance universelle.

Chez toi, c’est la langue plus que le mot qui est en jeu, c’est un outil physique. J’ai l’impression que tu malaxes beaucoup tes textes avant de les rendre définitifs, avant de les dire à voix haute.

Ouais, c’est exactement ça, je me définis ainsi. Je suis un galérien, tu vois. Je prends du temps pour faire les choses. Je prends beaucoup de temps. J’écris des milliers de lignes qui sont toutes pourries, et puis, petit à petit, certaines choses sortent. Et en même temps quand je les écris, tu as raison, je parle, je mets très souvent de la musique et ça m’emmène dans des intentions particulières. Et puis, j’ai des thématiques, des codes d’écriture pour savoir où est-ce que je mets mes respirations : « Mal au monde, dur au mal. Épargne-moi les partisans. Épargne-moi les partisans ». Là, je vais les accrocher, les mots, pour n’en faire qu’un seul. Je vais aussi chercher les auteurs. Je lis pas mal sur l’éthique, sur la philosophie, beaucoup de science-fiction aussi. Damasio, par exemple, qui a une écriture très personnelle et qui s’est affranchi de certains codes.

Avec ceci, on entre réellement dans un exercice poétique au sens où la langue n’est pas au service de mots un peu mièvres qui appartiendraient au slam, et parvient à échapper au côté plus percutant et plus incendiaire du rap. Ça serait quoi, ta propre définition de la poésie ?

Pour moi, c’est une recherche de vérité, au-delà de la compréhension, une forme de justesse. Voilà, je n’irai pas forcément plus loin que ça.

Ça me va très bien. Ton plus grand choc de poésie ?

Je peux citer plein de trucs différents qui me touchent. Par exemple, Damien Saez, pour sa posture face aux médias, pour ses mélodies et pour les textes qu’il peut sortir, j’adore. Il y a aussi beaucoup de poésie quand je vais surfer avec mes enfants, avec qui je voulais vivre ces moments. Il y a un coucher de soleil, et chacun est capable de prendre des vagues, chacun est capable d’avoir son propre style. Et là, je marche sur l’eau, et je suis en lien avec des formes tubulaires qui viennent, comme ça j’ai l’impression d’être sur une autre planète, tellement c’est beau et puissant. Et pour moi, il y a une forme de poésie incroyable dans cette idée de la transmission, du lien à notre maison, à notre planète.

Bilal Nikopol
Bilal Nikopol

À côté de poésie, tu choisis de placer le mot punk. C’est un mot dont on use et on abuse pas mal aujourd’hui. Ce serait quoi l’esprit punk pour toi ?

Un ami à moi, à l’occasion d’une expo que j’avais montée à Montceau, m’avait dit : « Pierre, toi, tu fais de la poésie punk». Je suis allé chercher les définitions de ce que je ne connaissais pas vraiment. Et il y en a une qui m’a fait dire : « Woh, c’est ce que je veux être ». C’est le fait d’avoir les mêmes postures, humaines et morales avec n’importe qui : avec les enfants de SEGPA dont je m’occupe comme avec mon chef, avec mes inspecteurs académiques comme avec mes enfants ou un quidam dans la rue. Ne pas changer de casquette, de discours, de façon de parler… Cette punk attitude-là, je l’adore. Et ça m’a guidé et ça m’a permis de devenir un peu plus ce que je voulais être. Ce n’est pas suffisant du tout, mais disons que c’est un cheminement. Et tu vois, cette poésie associée à ce mot punk, c’est ça : « Je t’emmerde en te serrant dans mes bras ». Si je dois te dire des choses, je vais le faire, qui que tu sois, et j’en assumerai les conséquences.

Le meilleur son punk pour toi ?

J’aime bien Rage Against The Machine…

L’inspiration musicale de tes projets ?

La famille, mon papa et ma maman. Beaucoup de Brel, de Renaud, de chansons françaises, beaucoup beaucoup de fois le Déserteur, tu vois, les chansons françaises, les mots. Et derrière mes enfants, beaucoup de rap, beaucoup, beaucoup, beaucoup de rap, avec des instrumentations qui débouclent, j’adore ça. Les choses qui sont là, qui restent. Booba, il a quand même des instrus de malade. Il y a aussi beaucoup de musique classique, de Kerry James à un moment donné, beaucoup de Damien Saez. Vivaldi aussi parce que c’est entraînant et que c’est noir en même temps, les Quatre Saisons, pour moi, c’est un truc de fou.

Un des tes spectacles s’appelle Monstre. Le monstre, au théâtre , c’est celui se dresse face à ses semblables, et prend la parole.

Faire face, c’est ça, comme d’autres le font aussi. C’est cette idée aussi de se raconter, de montrer, monsterum, avertir en latin, dire ce qu’on est, dire ce qu’on a été, dire ce qu’on est en train de devenir. On est des voyageurs, on a vu le passé, on a vu le futur, c’est cette idée-là, tu vois bien, à la Blade Runner, à la Akira, Gunn

…Enki Bilal, non ?

Carrément. Tu as vu mon expo, il y a beaucoup de corps qui sont usés, qui ont des fissures. Les corps d’Enki Bilal, ces corps abîmés, c’est tellement beau et poétique, Clairement, j’ai regardé comment il faisait, et je me suis inspiré. Enki Bilal, la trilogie Nikopol… Chaque trait, presque, pourrait vivre tout seul. Et ça, ça m’intéresse vachement de me dire, est-ce que les costumes pourraient vivre tout seuls dans Monstre ? Est-ce que ce texte-là, il peut vivre tout seul et ailleurs avec d’autres intentions ?

Dernière question, peut-être la plus difficile, comment on se débrouille pour faire face à ces paradoxes ? Ce serait quoi ton conseil ?

En vrai, je n’y arrive pas. Mais je tends vers ça, et ce qui me guide, c’est de toujours prendre le moins mauvais chemin. Il y a l’éthique qui rentre alors en jeu. Donc, je réfléchis beaucoup à ma propre morale. Qu’est-ce qui est bien ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Et ça bouge parfois, mais les gens qui me connaissent bien savent que la colère que je peux avoir en scène est la même que je peux avoir dans la vie. La douceur que je peux avoir sur scène est la même que j’ai adressé, deux heures auparavant, à mes élèves. Et donc, pour essayer de gommer mes paradoxes, j’essaye de garder des postures. Un humain, c’est un humain. J’essaye de vaincre mes paradoxes, en essayant d’avoir de la probité, j’essaye et je n’y arrive pas toujours. C’est un cheminement, mais les paradoxes seront toujours là et les contradictions seront toujours là.


propos recueillis par guillaume malvoisin,
en mai 2025 à Chalon-Sur-Saône
photos © DR

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