jean-alphonse
leboucher a fait
“pschitt” avec machi oul
L’aventure, c’est l’aventure. Et le jazz reste le jazz. Insaississable, marrant mais pas toujours commode. En 1976, un jeune Normand en fera l’expérience. Transfuge musical et transfuge social, il fréquente le gratin du free parisien avant de rejoindre le Jura libre. Le disque est réédité ce mois-ci par Souffle Continu Records.
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Machi Oul Big Band,
photo extraite du livret de la réédition © Thierry Trombert / Courtesy Souffle Continu
Peu de gens le savent, il y a une mine d’or à Poligny. Du genre golden nuggets. Qui ferait la joie des diggers et des amateurs d’histoires grandes classes. Jugez plutôt : un petit normand, fils d’agriculteur catholique, monte à Paris, se retrouve dans le creuset du free jazz parisien de 1976 et finit par enregistrer un disque majeur sur le mythique label Palm, et génialement réédité ce mois-ci par Souffle Continu. « I had to deal personally with my situation as an expatriate, without disavowing it. I tried not to betray my roots, I tried to translate into my music what was essential to me, to reflect my origins –Latin America, its musical and above all human feelings –while remaining faithful to jazz, which is the mode of expression of the musicians in the group », lit-on dans les notes de pochettes de cette réédition. C’est Manuel Villaroel, expat du Chili qui prononce une vérité de transfuge culturel qui est aussi celle du petit normand, engagé volontaire à Paname, pour faire de la musique pas cher. Incroyable, mais vrai, dirait Jacques Martin. Impensable, mais finalement assez simple, corrigerait Jean-Alphonse Leboucher, à son aise dans l’humilité comme dans le scepticisme. Générosité sans protocole, Jean-Alphonse a aussi l’étincelle de malice rivée à l’œil. Et la bouche cousue pour ce qui devait resté soigneusement secret au cours d’une heure d’entretien.
Petite histoire à l’ombre de futurs géants du Free. Tout commence dans les normes, deux cafés et une date de naissance : « 1954, à Caen. Mon père est agriculteur et musicien. En 1975, l’armée, c’était le moyen pour les gens modestes de pouvoir vivre gratos en faisant des études de musique. En arrivant à l’armée je rencontre François Méchali. Il a déjà 25 ans et il est sursitaire. Moi, j’ai 18 ans et je suis engagé. L’armée me nomme donc responsable de lui. Je suis un peu timide et je sais pas où je vais. » Les gars du Free vont le sortir de là : « On va faire un concert, il nous manque un trombone, ça te dit ? » Direct. C’est la maison de la Radio et Machi Oul, le big band free réuni par Manuel Villaroel. Quetzalcoatl, premier disque du band, est enregistré à l’ORTF puis sort sur Palm, le label phare de Jef Gilson. Mais avant les embardées sonores, il y a quoi ? C’est quoi, le jazz, à Caen ? « C’est pauvre culturellement chez moi, un peu de musique classique. Mon père était musicien, mais amateur, il jouait à l’église. » Marrant, ça ressemble au légendaire américain du jazz, de la soul et de la funk où la gloire et les carrières naissent de la musique d’église. Mais, à Caen, pas de negro-spirituals, mais on a des messes de minuit. Tout le monde chante, parfaitement catholique. « Le seul mec de jazz que je connais, c’est un ami de mes parents. Il improvise, comme ça, et on est tous, comme ça, à le regarder. En 68, pour écouter de la musique, faut avoir les moyens, mais mon père veut que ses enfants fassent de la musique. »
Jean-Alphone s’embarque donc pour Paris, pour l’armée et de très riches heures de jazz et d’impro : « Ce que j’ai aimé dans l’improvisation, c’est le côté de la création sorti du fond de moi-même. » La fleur au fusil et l’urgence aux tripes, Jean-Alphonse. Ça peut faire très peur, ça peut être très violent. « Je suis rentré dedans à fond. Les gars connaissaient les grilles, les conventions, moi rien. Quand j’appuyais sur le bouton ça faisait « pschitt » puis je jouais. Je savais lire la musique, mais en impro je devais les imiter. » Le problème des big band c’est qu’on y gagne pas bien sa vie. Faire carrière ou gagner de quoi bouffer. À quoi ça tient l’avant-garde dans la France d’après 68 ? « Le milieu bourgeois et intellectuel avait la connaissance de la musique grâce aux conservatoires. Didier Levallet était journaliste, et je ne sais pourquoi, mais, à l’époque, beaucoup d’autres étaient vétérinaires. Au sein du big band Machi Oul, ce côté intello Versaillais me fascinait. » Première French Touch. Machi Oul annonce la couleur et mixe les origines, celles de Jean-François Canape, populaires, celles des Villaroel, latino-américaines. Au sein de Machi Oul, c’est la musique qui doit apaiser les conflits et unifier les individus. Sur Quetzalcoatl, le disque de 76, les conflits sont résolus d’un solo de trombone à mettre tout le monde d’accord. Le son qui déboule à 23 min du début de l’enregistrement n’est pas un solo de rigolo. « C’est peut-être Josef Traindl qui joue. Mais j’ai bien dû improviser aussi parce qu’il y avait une certaine liberté. Cohen, par exemple, le saxophoniste du Cohelmec, il a 10 ans de plus que moi quand j’arrive à Paris. Il habite à côté de Pigalle. Tu vois le bonheur… J’ai été accueilli avec bienveillance. Je ne connaissais rien, j’étais gamin. Bon en 76, au festival de Chateauvallon (d’après Manuel Villarroel, il s’agit plus certainement du Festival de Balver Hohlle près de Düsseldorf, ndlr), tout le monde s’en foutait quand même un peu de nous. Il y avait les vedettes qui jouaient, comme Sun Ra. » Sortir des marches militaires pour improviser avec des volcans et croiser le cosmos. Pas banal. Pas mal. À 18 ans, sérieux.
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texte : guillaume malvoisin
photos © Amstel Gold Race / Courtesy Souffle Continu
portrait Jean-Alphonse Leboucher © Pierrick Finelle
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