Et l’Ours se souvint puis serpenta entre le bruit et l’ordinaire. Presque pas meilleur résumé pour l’Anthologie du Son du Grisli, sortie en avril dernier chez Lenka Lente. Sous la gueule cassée de Francis Bacon, en goguette dans le métro, défilent, ou serpentinent donc, 18 années de comptes-rendus, de chroniques de disques, d’interviews et de portraits de musiciens et de musiciennes. De réflexion aussi, nourries d’une écoute assurée de ces musiques, dites aujourd’hui, créatives. Musique qui creusent et bousculent l’ordinaire des jours. Par leurs bruits, par le positionnement de celles et ceux qui la font, de celles et ceux qui auront appris à se laisser traverser par ses ondulations, à se laisser aller à ses flux et reflux. Piloté, (Rêvé ?), comme un site web ressource sur ces « musiques qui changent de l’ordinaire », ce projet de 18 ans d’âge est ici, dans sa forme ultime, posé sur papier et carré-collé sur 580 pages, remanié selon un principe simple. Celui du fil tiré. Une entrée en amène une autre, une idée vient compléter la précédente avant d’adjoindre un nouveau nom de génial faiseur à la suivante. C’est entêtant, chronophage de la plus belle des manières et foutrement pertinent. Impossible de faire un arbre chronologique de ces musiques sans se tordre le cou. Impossible de tirer des bords droits pour expliquer les circonvolutions qui relient dans leurs détours Sonic Youth à l’Art Ensemble, Joe McPhee à Tom Johnson, John Zorn au reste du monde. Il y a beau dans les passages d’entretiens. L’impact d’Auschwitz et de la Shoah sur la musique de Ghédalia Tazartès, les paradoxes de renommée propres à des monuments comme Joëlle Léandre. Il y a beau aussi dans l’art des miniatures que sont chaque chronique. Petits précis, utiles et sensibles, qui servent de colonne vertébrale à cette Anthologie magistrale. Il faut savoir se perdre. Dans les rues, dans ses pensées, dans le cours des jours. Et depuis avril 2022, dans les pattes charnues de ce compendium intarissable.