Lauryn Hill, disparue volontaire
Dans l’héritage du jazz, il y a deux types de types. Et c’est sans doute plus vrai quand ces types sont des femmes. Parmi elles, il y a celles qui s’échinent en coulisses quand on leur colle la lumière en pleine face, celles qui se racontent entre les lignes, celles qui portent des couronnes trop grandes parce que le monde les ont rêvés trop grandes, trop puissantes. Parmi celles-ci, il y a Lauryn Hill. Loin de s’être fantasmée comme une Lady Macbeth du hip hop, du R’n’B et de la néo-Soul, Madame Hill s’est lavée les mains de l’image fabriquée par d’autres, a tenté de tenir bon, a livré une masterpiece en 1998 avant de disparaître dans les affres judiciaires et amoureux. Mais, geste classe, non sans avoir livrée un petit missel unplugged. Sois, bénie Hill.
Lauryn Hill naît en mai 1975 dans le New Jersey. C’est East Orange, puis South Orange. Bleue, c’est pourtant la couleur qui va s’imposer tout au long de sa carrière. En 1975, être une femme, noire et superactive dans le monde marvelous de la musique, c’est filer à bouffer aux magnats magiques, hommes et blancs, le plus souvent, donner de l’imagerie néo-exotique aux autres. Public par exemple. C’est Sister Act 2, avec Whoopy Goldberg ou plus tard le presque éponyme The King fo the Hill de Soderbergh pour le cinéma. Ce sera une disparition incongrue, après un feat. chez Aretha Franklin. Ce sera bien plus tard un petit hommage à Nina Simone, en 2015. Mais avant cela. C’est surtout la face et la voix magnifique des Fugees, groupe au nom de délicieux caramel qui cartonne la tête des charts dès 1995 avec un mix de soul ténue et viscérale mélangé au plus rugeux de la Street Culture. Dès lors, Lauryn Hill s’impose comme une queen du sous-texte, des non-dits, des clairs-obcurs de sens. Son amour pour Wyclef Jean, ses aspirations de jeune femme libre, ses combats aussi. Contre la mysoginie native du rap game US, contre l’image de belle gosse en 2D qu’on veut lui coller absolument. Chante bien et tais-toi, en substance. Redite imbécile du “Sois belle et tais-toi” hollywoodien. Mais Madame Hill est une Lady 3D et caviarde pas mal de ses rancoeurs et soucis dans les textes des fugees. Mal éduquée, Lauryn Hill ? C’est ce que raconte la pierre angulaire qu’est son premier disque en solo.
Doo Wop (That Thing)
Everything Is Everything
If I Ruled the World (Imagine That)
Can't Take My Eyes Off Of You
Côté bio, Lauryn Hill naît en 1975. Elle a donc 23 ans quand on lui concède, ou sans doute l’arrache-t-elle à dents pleines, le droit de sortir The Miseducation of Lauryn Hill en 1998. Arrache ? Oui, un peu quand on a es crocs de refuser RZA à la prod, quand on règle ses comptes amoureux avec Monsieur Jean et ses comptes religieux avec Dieu himself. Everything Is Everything, dit-elle. Dont acte, The Miseducation est une bible à tout dire. Rien qui ne soit vécu, subi ou ressenti par d’autres qui n’habite ce disque. Un disque qui prend son temps pour durer mais qui vient vous chercher tout de suite. Lyrique comme un cheval en course, clinquant comme un bord de mer, âpre comme une rue un dimanche de pluie. C’est Bleu, on le disait plus haut. C’est clair et sa face sombre a la gueule d’un diamant noir, bien poli. Pas mal pour un traité de mal-éducation. La sélection, strictement subjective, des 4 titres de cette page devrait suffire à vous en convaincre.
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Guillaume Malvoisin
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