« Le temps passé ensemble sur la route a soudé une complicité rare, et la musique circule au sein du quintet comme une démocratie cosmique et sonore. Sans débats interminables ni micro coupé. »


texte : Selma Namata Doyen
photos © Maxim François

jazz à la villette 2025 The Bridge © Maxim François

jazz à la villette 2025
the bridge #2.12

Le concert s’amorce avant même que le silence ne consente à descendre dans la salle, encore éclairée quand Angel Bat Dawid décide qu’il est l’heure. Percussions en main, elle avance. Gravité de procession. Les autres musiciens la rejoignent, happé·es, et une polyphonie s’élève entre ferveur gospel et tension brute. Les dissonances s’entrechoquent dans une logique implacable. Quand les lumières s’éteignent enfin, le quintet a déjà une longueur d’avance. Ce monde, c’est celui de ConstelNation, issu du réseau The Bridge et de ses rencontres transatlantiques. Scène française versus scène de Chicago. Pour ce numéro 2.12 : Angel Bat Dawid (clarinettes, voix, clavier), Nick Macri (contrebasse), Magic Malik (flûte, voix), Richard Comte (guitare, voix) et Toma Gouband (batterie arrangée). Un Club des Cinq à la sauce free.

jazz à la villette 2025 The Bridge © Maxim François
jazz à la villette 2025 The Bridge © Maxim François

Le temps passé ensemble sur la route a soudé une complicité rare, et la musique circule comme une démocratie cosmique et sonore. Sans débats interminables ni micro coupé. Angel Bat Dawid s’impose comme l’un des foyers d’énergie du groupe. Le gospel traverse son chant, plein de l’impérieuse liberté d’improviser. À ses côtés, Magic Malik déploie une voix intime et insaisissable. Le trouble y naît avec la retenue la plus délicate et l’éclat d’un cri. Sa flûte a trouvé sa voie traversière, flottant hors sol, familière d’un univers parallèle sans doute mieux réglé que celui où nous nous tenons. Dans leur échange affleure une histoire ancienne, marquée de chaînes invisibles et de mémoires tenaces. Leur dialogue devient l’un des cœurs battants du groupe. Le jeu de Richard Comte, tantôt abrasif, tantôt diaphane, intègre et relance. La voix du guitariste, ajoutée à celles d’Angel et de Malik, densifie les couleurs du spectre vocal. Son sens de l’équilibre frappe : capable de s’adosser aux lignes de Nick Macri ou de rejoindre les envolées de Malik. Comte est ce médiateur dont la présence discrète assure la cohésion du groupe. Cohésion dont l’assise tient aussi à la profondeur de sa base rythmique. Nick Macri joue apaisé, sa contrebasse est essentielle, et rend alors possible l’élan collectif, stabilisant l’espace musical au profit des audaces de Toma Gouband, percussionniste possédant un art de l’écoute singulier. Tout devient source de résonance, grosse caisse, pierres et bois glané. Capable de se réduire à un souffle ou de s’élancer en éclats, son jeu habité offre l’aventure au quintet, en déplace le risque et l’équilibre sans jamais le fragiliser. Quand Eva Supreme rejoint le quintet en toute fin de set, l’espace s’élargit encore. Sa voix riche et aiguë, sa façon de s’intégrer sans forcer, son aplomb naturel parachèvent la  densité de l’ensemble.
ConstelNation avance ainsi, par rebonds et ruptures. L’heure et demie écoulée se mesure à l’aune de l’horloge interne de chacun·e. Interminable ou envolée en un instant, fugace dans la sensation d’assister à quelque chose de rare. Une chose où les musicien·nes affrontent leur mystère et le public découvre le sien. Ce qui circule entre les deux, c’est précisément ce qui échappe à tous. C’est même là que se loge la force physique de cette longue improvisation. Rite initiatique ? Randonnée au long cours ? Une barre aux amandes ne serait pas de refus.


Selma Namata Doyen
photos © Maxim François

jazz à la villette 2025 The Bridge © Maxim François
jazz à la villette 2025 The Bridge © Maxim François
jazz à la villette 2025 The Bridge © Maxim François