« La progression ne repose pas sur des thèmes successifs mais sur la plasticité des strates sonores : densité percussive, suspensions incantatoires, circulation entre blues, gospel, free, hip-hop, électronique. Tout cela affirme la continuité d’une culture musicale diasporique dont LaMar Gay se revendique. »

La dynamo, pantin
mardi 7 octobre
— chroniques

ken vandermark
edition redux

Redux, c’est refaire voire se refaire en ltin. Coppola l’a fait génialement avec son Apocalypse Now, à La Dynamo de Pantin, Ken Vandermark rebat les cartes de ses propres habitudes et réunit trois jeunes musiciens. Beth McDonald (tuba et machines), Erez Dessel (piano, claviers) et Lily Finnegan (batterie) animent ce projet pensé comme un espace de transmission directe. Le concert s’ouvre avec une rigueur presque écrite, chaque intervention s’imbriquant avec précision. Mais les structures minutieuses se fissurent vite. Les séquences libres débordent, redistribuent les places, déplacent les équilibres. Tout repose sur ce mouvement d’allers-retours entre cadre et éclatement. Le tuba de McDonald grave et massif, brouille parfois, se faisant nappes et bourdons saturés sous effets électroniques. Dessel, calé entre piano et claviers, installe des blocs d’accords qui claquent puis s’échappent en éclats instables. Finnegan, à la batterie, installe une assise souple et tendue, devient ce point d’appui primordial, axe solide de l’ensemble. Vandermark intervient par fragments, aux saxophones et clarinettes. Jamais en patriarche, jamais en figure centrale, la natif de Rhode Island préfère réorienter le flux, donner l’élan, joue les joueurs de volley qui lève la balle pour les autres. La cohérence du set est là, issue moins d’une fusion lisse que d’une transmission en acte. Vandermark est alors ce trait d’union qui ouvre un terrain commun où les générations s’épaulent et se prolongent.

Ben LaMar Gay Ensemble

À l’opposé de la rigueur formelle, le Ben LaMar Gay Ensemble relève d’une oralité vivante, d’un flux où la scène cesse d’être un cadre pour devenir un espace mouvant et partagé. La dynamique est celle d’une circulation : la musique s’invente comme un langage collectif. Dès l’entame, le cornet de LaMar Gay impose sa sonorité dense, rugueuse et chantante, où chaque note cherche sa place dans le groupe. Très vite, l’instrument se prolonge par la voix — chant, cri, scansion. Plutôt qu’un abandon, c’est un déplacement de fonction : souffle et langage appartiennent au même continuum. Ce geste s’inscrit dans une tradition afro-américaine où l’instrument et l’oralité dialoguent et se renforcent mutuellement. Le dispositif accentue ce principe. Matt Davis, au sousaphone, assume une fonction double : ancrage grave et contre-chant perturbateur. Edinho Gerber, à la guitare, alterne figures rythmiques claires et ruptures abrasives. Tommaso Moretti, en retrait apparent, assure la continuité du flux, oscillant entre groove resserré et dilatations temporelles. La progression ne repose pas sur des thèmes successifs mais sur la plasticité des strates sonores : densité percussive, suspensions incantatoires, circulation entre blues, gospel, free, hip-hop, électronique. Tout cela affirme la continuité d’une culture musicale diasporique dont LaMar Gay se revendique. Cette richesse formelle et culturelle ne trouve pas toujours un accueil bienveillant. Né noir à Chicago dans les années 1980, LaMar Gay inscrit son art dans une histoire traversée par les violences racistes. En France aussi, cette réalité se rappelle brutalement : quelques jours avant ce concert, il a été agressé à Lyon, ville qui brunit à vue d’œil, aux côtés de Dorothée Munyaneza et Julian Knxx. Impossible alors de dissocier cette performance de son contexte choquant. La liberté formelle de ce soir résonne indissociablement avec la nécessité d’une résistance militante et collective, avec le rôle que devrait jouer chaque spectateurice : donner de sa force à l’artiste, au moins autant que l’énergie qu’il reçoit de sa musique.


textes de Selma Namata Doyen
photos © Alex Inglizian – © Shannon Marks

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