Kim Becher vous parle encore de jazz
Jazz à Vienne, 2015 © Xavier Rauffet
Cher lecteur, aujourd’hui, on va aller à l’essentiel pour voir. Déjà, tu connais le principe de cette tribune : « j’écoute pas de jazz mais… ». L’autre jour, dans le fond sonore de ma cuisine, c’était le programme d’été de France Inter en direct du festival Jazz à Vienne. En temps normal j’aurais zappé, mais là j’avais les mains occupées par une tentative de fallafels-maison, alors j’ai laissé le programmateur du festoche me raconter « son plus beau souvenir du festival » comme le lui demandait le présentateur de l’émission.
Alors que je saupoudrais ma purée de pois chiche d’encoreunpeudecuminçapeutpasfairedemal, le monsieur me raconte comment, une fois, Ben Harper a dû annuler 15 min avant le début du concert et comment il t’a rebooké ça lui-même en 2/2 sans manager et quelle émotion c’était lorsqu’il a finalement gravi les marches du théâtre antique. Et là je me dis :
« Comment ? Qu’est-ce que j’apprends ?
Ben Harper c’est du jazz ? »
Alala mes bons amis, dans quel engrenage maléfique ne m’étais-je pas fourrée ?
Ni une ni deux — et deux jours plus tard, je me retrouve à éplucher la programmation de Jazz à Vienne à la recherche des genres musicaux des groupes programmés. Le 1er coup d’œil me semble éloquent : Kesiah Jones, Ayo, Deluxe, Paul Personne… Hé mais Jazz à Vienne, en fait, c’est pas du jazz !?
Le 2ème coup d’œil m’a obligé à googliser tous les autres noms de la liste — et c’était chiant — avant de m’apercevoir que j’avais tort. Clairement, une paire d’yeux plus aguerrie aurait rapidement captée que 90% de la prog’ du festival peut positivement être qualifiée de jazz, seulement je soupçonne le monsieur de s’être gardé 10% de marge pour des têtes d’affiches moins œcuméniques mais susceptibles d’attirer un public de béotiens comme moi, à convertir.
« Quel impressionnant esprit de déduction madame Becher ! Et quel scoop pour la profession !
— Oui, je sais. »
Du coup, sans doute que le monsieur à la radio saurait bien mieux que moi écrire cet article, mais comme je n’ai pas poussé le vice du journalisme au point de l’appeler, je vais quand même en revenir à la question : c’est quoi le jazz quand c’est pas du jazz ? Comment le monsieur a-t-il choisi ses 10% ? Pourquoi a-t-il considéré qu’un groupe tel que Deluxe avait sa place chez lui, hein ?
Parce que ça fait vendre des billets ? Oui. Mais pas que. Tout en formant mes petites sphères de houmous, je me suis amusée à imaginer qui j’inviterais moi, et pourquoi.
Prenez un gars comme Marc Rebillet. Si si, prenez le et malaxez le, ça lui fera plaisir. Bon. Marc Rebillet, est musicien et performer YouTube et Twitch. Clavier, voix, boucles et bidouilles. Il est aussi principalement connu pour sa moustache et son peignoir. Rien à voir avec le jazz. Pourtant, sérieux, si j’étais programmatrice, je poserais bien sa chambre d’hôtel à Vienne, pour voir.
Pourquoi ? Difficile à dire mais en gros, la liberté et la créativité qui permettent à cet homme en caleçon de monter sur scène sans avoir une idée claire de ce qu’il va y faire a, selon moi, à voir avec le jazz. Les premiers jazzmen se sont mis à improviser parce qu’ils n’avaient pas les moyens de se payer des partitions ou d’entrer dans des conservatoires. Rebillet de son côté est un pur produit de l’internet. Alors que ses tentatives de vivre de sa musique par les biais habituels ne fonctionnaient pas des masses, il se filme en train de jouer avec les fonctions de son logiciel de son dans un état d’esprit de liberté et de second degré absolu, et… c’est le succès. D’une situation sociale bloquée, les artistes cherchent et trouvent des biais, inventent leur propres méthodes, en bref, improvisent. Et voilà un point commun pas du tout tiré par les cheveux !
The Bridge de Marc Rebillet (Loop Daddy EP, 2018).
Kim nous dit : « Je ne me lasse pas de ce morceau
mais sinon tout ce qu’il fait c’est bien. Ecoutez ».
le clin d’œil selon Childish Gambino
La gingivite selon Marc Rebillet
Le Yolo selon Femi Kuti
Bon et sinon, qui d’autre pourrait-on inviter de décalé mais lucratif ? Voyons ce que l’on a dans la playlist interne… Oh je sais ! Que penseriez-vous de Femi Kuti ? Saxophoniste et trompettiste plutôt classé à la Fnac dans le répertoire ‘musiques du monde’, ce monsieur aurait toute sa place à Vienne en terme de parenté jazzistique puisque son père – dont il a brillamment suivi la trace – a tout bonnement inventé l’afrobeat. Mais si je l’invite moi, c’est surtout parce qu’il a en commun avec le jazz un engagement politique qui transpire de partout dans sa musique et qu’il a pulvérisé le record mondial de la note la plus longue jouée sur un saxophone avec une performance de 51 min 35 secondes. Oui je mets ces 2 informations sur le même plan syntaxique. C’est scandaleux mais rigolo.
Bon vous me direz que ce n’est peut-être pas Femi Kuti et ses 60 printemps – aussi honorables soient-ils – qui vont remplir mon festival de jeunes. Et vous n’aurez pas tort, aussi j’enchaîne directement avec mon dernier invité.
Il est jeune, il est beau, il a du talent : M. Childish Gambino !
Comédien-MC-rappeur-producteur américain, je l’avais personnellement découvert dans l’excellente série Community avant qu’il ne tue le game en 2018 avec le titre This is America (dont le clip est un petit chef d’œuvre, posé juste à droite de ce texte). Il semblerait qu’il soit dernièrement au centre d’une polémique de plagiat quant à ce morceau justement (je vous laisse juger par vous-même), mais moi j’ai décidé que je m’en foutais. Il serait le bienvenu à Vienne parce que le hip hop c’est mon ami en plus d’être le petit frère spirituel du jazz et que, dans mon festival imaginaire, j’invite bien qui je veux d’abord.
Voila. Je vais pas non plus dévoiler toute ma prog’, faut pas déconner.
Sinon, pour info, mes fallafels, c’était une tuerie.
This Is America de Childish Gambino (2018)
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Kim Becher
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