«  La liberté artistique a un prix. Aujourd’hui, travailler en Éthiopie se fait de plus en plus dur. Rackettée par des policiers parce que les paroles des chansons choisies devenaient problématique pour l’ethnie au pouvoir. »


à propos d’Etenesh Wassié, chanteuse éthiopienne en exil.

Etenesh Wassié

Etenesh Wassié,
invitée par [NA]
— tribu festival

Le ciel grisonnant de la cour du Consortium Museum abrite cet entretien avec Etenesh Wassié et deux des membres de [NA], Raphaël Szöllösy et Rémi Psaume. Collaboration singulière que celle-ci, née entre un trio insolent et cette chanteuse éthiopienne. Après quelques jours de résidence, iels étaient en concert sur la scène du Tribu, jeudi dernier. Seulement trois jours de travail, une seule attente commune : que la liberté face partie du set, lovée dans l’étreinte du trad éthiopien et du jazz-punk.
« Tout ça est une grande histoire de parrainage », commence Etenesh. Elle évoque Frédéric Ménard, directeur artistique du festival, qui l’a découverte il y a près de 20 ans lors d’une édition du Tribu festival où elle était venue chanter avec des musicien·ne·s traditionnel·le·s. « Il voulait absolument que je revienne pour cette édition. » Une symbolique forte, pour la chanteuse, qui travaille depuis des années en France, et vient enfin d’obtenir son asile. Elle voit dans cette septième participation au Tribu « une boucle bouclée ». Frédéric Ménard a d’abord appelé [NA], groupe qu’il parraine dans le cadre de Jazz Migration, qui a immédiatement accepté. Iels étaient déjà auditeurices de la musique éthiopienne, sans avoir encore pu travailler avec un·e porteur·euse de cette culture. Rémi Psaume, saxophoniste de [NA] connaissait même Etenesh sans le savoir, pour l’avoir entendue, mais sans avoir fait le lien avant leur rencontre.

7j/7 24h/24, elle a forgé sa voix dans les cabarets.
Celle qui est devenue frontwoman de cet assemblage ethio-punk est née à Addis-Abeba. Etenesh commence à chanter, à 17 ans, dans les cabarets de la ville. Trente ans de scène, à chanter, chaque soir, en acoustique. Elle façonne une voix au grain profond, capable d’embrasser la tradition comme l’expérimentation. Mais la liberté artistique a un prix. Aujourd’hui, travailler en Éthiopie se fait de plus en plus dur. Rackettée par des policiers parce que les paroles des chansons choisies devenaient problématique pour l’ethnie au pouvoir, elle faisait également face à une censure grandissante. Elle a choisi la séparation et l’exil, une demande d’asile en France pour continuer les projets en cours déjà bien nombreux en France. Vingt-cinq ans de carrière internationale. Un CV plus que fourni en poche, elle multiplie les collaborations avec des musicien·ne·s d’ailleurs, majoritairement français·e·s. Parmi elles, le Tigre des Platanes, au sein du collectif toulousain Freddy Morezon, puis surtout, ce trio magnifique, d’une complicité riche et ancienne avec Mathieu Sourrisseau et Sébastien Bacquias, dans le sillage duquel, elle accepte d’explorer d’autres pistes musicales avec [NA]. Après les trois jours passés au Maquis, en résidence, iels passent le test des planches du Tribu. Répertoire de sept morceaux : trois sont issus du catalogue de [NA], trois sont apportés par Etenesh Wassié, puis un bonus savoureux lié au travail de Getatchew Mekurya, à la base même de la création du trio strasbourgeois. Le maître saxophoniste, parmi les fondateurs de l’éthio-jazz, avait pu être accompagné par les punks bataves iconiques de The Ex, pour une tournée mémorable. C’est « un morceau qui nous relie, tous les quatre, en dehors d’être nous », explique le guitariste du trio, il indique aussi qu’il s’agit d’« un instrumental donc impossible d’ordinaire de poser une voix sur les grilles du morceau. Pourtant, Etenesh a réussi à y poser un chant ».

Trubu 2025

La courte durée de résidence aura aussi permis de ne pas trop asseoir leurs marques, de laisser de la place à l’improvisation, « ce qui est génial là-dedans, parce qu’avant cette rencontre, c’est que on a pu greffer nos deux amours de la liberté ». « Netsenet » clament iels toustes en cœur, ce qui veut dire liberté. Les musiques traditionnelles permettent cette improvisation, parfois codifiée mais qui toujours plus libre : « ça marche d’autant mieux parce qu’on avait que trois jours pour monter ça. Si on avait dû apprendre des codes hyper précis ou créer des choses nouvelles, ça aurait été un peu sport mais là on arrive à de belles choses ». Etenesh se laisse balloter par le son du trio. « Elle chante quand elle le sent, elle part, revient, laisse une ligne de voix quand elle le sent », rit Rémi. Leur écoute est à l’image de ce qui semble être leur amitié : fraiche, sincère et naturelle. La chanteuse ne change pas ses textes : elle superpose ses paroles à la musique du trio, provoquant un frottement et, ainsi, une métamorphose. « La mélodie traditionnelle change », explique-t-elle. Un exercice auquel elle est habituée mais cette fois ci, un peu plus que d’habitude, elle sent que quelque chose se joue un peu différemment. [NA] ajuste son jeu. « On a descendu notre gamme, Etenesh est montée. On a twisté un peu les codes de la musique éthiopienne », détaille Raphaël. Aucun problème pour Etenesh. Suivre, s’adapter et proposer. La chanteuse souhaite vivre la magie du live et observer l’effet qu’elle produit sur la musique qui s’invente sur l’instant. Prendre sa place, au cœur des improvisations, dans et hors des modes qu’elle connait sur le bout de la voix. Bien entendu, Etenesh ne compte pas s’arrêter là : « un nouvel album arrive à Noël, chez Freddy avec Mathieu et Sébastien ». Installée désormais en France, elle rêve de multiplier les projets, comme ce spectacle auquel elle travaille actuellement, avec Marc Démereau, autre activiste de l’écurie toulousaine, et Myriam Pélicanne, une conteuse. Il s’agit d’un tableau qui balance entre épopée et collectage de récits de vie de femmes rencontrées en ateliers d’écriture. Duo, trio, grand ensemble, musique improvisée et réinvention d’une tradition millénaire, qui dira que l’exil n’est pas une chance pour notre culture ?


propos recueillis par Octavine Brobbel-Dorsman, septembre 2025
photo © Alice Forgeot / Tribu festival