Line-up
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Marion Molle & Ronan Riou : composition, enregistrement, voix, instruments
Pas besoin d’avoir lu Duras pour grimper dans ce camion. Ce qu’on entend ici, ce sont des voix à l’apparence enfantine, des synthés qui grincent, des rythmes de travers, un goût pour le détail sonore qui accroche l’oreille sans jamais en faire trop.
Le duo Jean-Marie Mercimek (Marion Molle et Ronan Riou) a mis six ans à assembler cet album entre France et Belgique. Le résultat n’a rien d’un « projet conceptuel » au sens lourd. On est face à un travail patient sur les matières, les textures, les silences. Ici, pas de tape-à-l’œil, mais un plaisir évident à faire sonner l’accident, l’imperfection. Dès Le Camion, une rythmique légèrement bancale et des nappes fragiles donnent le ton. La voix flotte plus qu’elle ne chante. Ce rapport aux voix est central : tout au long du disque, elles surgissent avec cette fragilité particulière, entre jeu d’acteur amateur et chant à la lisière. Sur Jambe De Cuir, ce sont des claviers au timbre mat qui mènent le propos, accompagnés de petits décalages rythmiques qui donnent une tension discrète. Une Bouche Regardée travaille l’espace avec un usage très fin des résonances, laissant le souffle et le vide devenir presque instrumentaux. Le duo joue beaucoup sur les rapports de densité. Avec Fiévreuse, ultra ramassée (moins de deux minutes), on est dans une forme de miniature sonore, sèche, tendue. A l’inverse, Ouvrir Et Recoudre construit un véritable tissage de couches : nappes décalées, voix multiples, traitement subtil des attaques. C’est ce genre de travail de montage, presque cinématographique, qui donne au disque sa profondeur. On sent ici l’héritage des Flaming Tunes de Gareth Williams, les bricolages des Residents, ou certains disques du label Lovely Music. Mais le duo ne cherche jamais à reproduire : il s’amuse avec le matériau sonore, les hiatus. Et ce qui rend l’ensemble si attachant, c’est ce mélange de fragilité et de précision. Les voix, les textures, les rythmiques : tout avance en déséquilibre contrôlé. On entend dans A La Pêche O Crevetes ou D’Ombres ce même goût pour le flottement, pour l’entre-deux.
Ce camion-là n’est donc pas un bel engin chromé. Plutôt ce genre de beau fourgon rafistolé. Et si Jean-Marie n’était pas seulement un duo mais le chauffeur de ce bolide, on lui dirait, sans hésiter : merci, mec.