les portraits de pointbreak
Clement Merienne
jouer barre
Clément Mérienne est pianiste, sampliste, improviste, saboteur-standardiste et ajouterait pas mal d’autres choses à cette liste. Comme animateur d’une génération dorée au Conservatoire de Chalon-sur-Saône et désormais, finaliste jazz migration #11.
Article extrait du numéro 6 de la revue papier (mars 2025)
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Il y a eu un petit âge d’or au conservatoire chalonnais. Une fine équipe d’étudiants formée sur place pour aller ensuite pourvoir quelques sièges vacants au CNSM de Paris (Conservatoire national supérieur de musique). Clément Mérienne est de cette petite bande, passé des premiers concerts, donnés pour ses parents au piano-jouet quand il était môme, au cursus classique du conservatoire avant d’affronter le piano jazz vers l’âge de 14-15 ans. Le déclencheur ? Une petite compile gravée par le daron. « Mon père m’avait gravé des CD avec des morceaux qu’il aimait bien. Je me souviens de Night Train d’Oscar Peterson. J’ai eu un choc, en me disant : » C’est fou, mais je comprends rien du tout » ». Au Conservatoire de Chalon-sur-Saône se jouent quelques rencontres décisives. Côté profs, Olivier Py et ses systèmes, Michel Martin-Charrière et les sessions de jeu. Côté élèves, l’amitié avec la clique qui deviendra, plus tard, La Sido. « C’était ma première expérience de groupe. Ça nous a entraîné dans toutes ces questions, sans prof pour nous dire quoi faire : comment interagir avec les musiciens ? Comment faire un album ? Comment arranger ? ».
Pourtant, Clément Mérienne est déjà ailleurs, plus intéressé par les trucs « barrés ». Barrés ? Réducteur. Plus un réél changement de paradigme : ne plus penser improvisation, mais plutôt composition spontanée. Premiers tests avec Felsh en compagnie de Jonathan Chamand et de Loup Godefroy, prolongations avec Clémence Baillot d’Estivaux et Pierre-Antoine Despatures dans Vera Desti. La méthode s’affirme avec les frères Léna Schroll, rencontrés au CNSM et compagnons de route fidèles depuis. « Creuser le matériel au maximum quand tu as une idée, jusqu’à ce que ce soit presque impossible techniquement de le faire ». Ce pourrait être le mantra de l’Autre Collectif, réunion franco-norvégienne fondée avec les deux frangins Schroll et la saxophoniste norvégienne Sigrid Aftret, alors en Erasmus au CNSM. Premiers liens avec Oslo tissés, candidature pour deux années de master à la Norvegian Academy of Music. Avec Sol, Clément monte ce qui deviendra Duo Cycles pour y postuler, croisant ses systèmes d’impro avec le folk norvégien. La bourse obtenue lui permet de jouer, de rencontrer musiciens français et norvégiens, puis de les réunir en montant un festival. Inspiré par La Vif, action initiée en Bourgogne par le trompettiste Timothée Quost, la première édition de l’Autre Festival se tient à feu l’Arrosoir de Chalon en juin 2021 et crée depuis sa routine. Bourgogne, Oslo et désormais, Paris.
Aujourd’hui, ce diptyque système-composition spontanée continue de s’éprouver. Avec Maëlle Desbrosses dans Ecchoing Green, où s’intercalent jeux rythmiques, successions d’intervalles et motifs mélodiques. Pour Flocon Volcan de Camille Maussion, aussi, groupe où Clément Mérienne sample en direct des fragments de solos, avant de les traiter, de les modifier et de les replacer plus tard dans la musique jouée. Un truc repiqué de son duo Mobiles, avec Hector. « Je fais des sessions où je suis juste au sampling, avec un soliste qui joue et que j’essaye de le faire jouer avec lui-même. Ça donne cette impression d’avoir entendu ça quelque part, pour lui et le public ». Flocon Volcan réunit cinq musicien·nes qui se connaissaient à peine, en prise, en side de la musique, à la question du genre et des générations. La présence du violoncelliste Clément Petit pourrait bousculer Mérienne, le second Clément du groupe : « Je ne joue pas beaucoup avec des musiciens de la générations d’avant. Est-ce que l’émerveillement passe, d’être musicien ? Ça ne devient plus qu’un job, où tu rentres chez toi et que tu es blasé ? Chez Clément Petit, il y a un truc profond d’intuition, d’investissement et de fusion avec son violoncelle qui me plait ».
Festivals, projets, rencontres, la grande vie à Paname, dans la jeune garde. « Paris, c’est une ville de fous, donc tu as une urgence d’essayer de faire du beau. C’est un besoin vital. Si j’étais en Bourgogne, je ferais une autre musique, plus calme ». Va pour le modèle 12 groupes à la durée de vie de 4 concerts chacun. Reste que la Bourgogne n’est pas loin, et que le pianiste continue de tirer ce lien avec quelques expats. Par exemple, dans Kobon, trio monté avec Etienne Renard et Émilian Ducret, qui sessionne chez Benoit Delbecq. « C’est Michel Martin-Charrière qui m’avait fait écouter Delbecq. Grâce à lui, j’ai découvert le piano préparé et les écritures en systèmes ». Et les positions radicales, comme celle de ne pas jouer fort et de l’imposer. Car, dans cette jeune garde, un autre rapport se meut avec le jazz tradi. Mérienne a développé un jeu très intuitif adapté à une musique de création, où la théorie musicale classique et les recettes accords-gammes du jazz passent au second plan. « Delbecq m’a parlé du duende, mot emprunté au flamenco pour évoquer les esprits quand on joue. Avant, je sabotais un peu les standards en jouant barré. Maintenant, je sais que ce qui compte, c’est jouer de la musique et faire sonner le standard, même en évoquant ici McCoy Tyner, là Red Garland, ou Oscar Peterson. Le solo, c’est une excuse pour interagir avec les autres ». L’urgence et le duende relient les doigts de Mérienne à ses claviers.