« Quand on est en scène, à côté de Mah, c’est assez fou ce qu’on ressent. De la puissance, de l’émotion, de la beauté. »
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Clément Janinet, violoniste à propos de Mah Damba
entretien avec guillaume malvoisin,
pour jazzèbre – septembre 2025
interview
— clément janinet
la litanie des cimes
& mah damba
en partenariat avec Jazzèbre (Perpignan)
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Clément Janinet, baroudeur violoniste, et inversement, tente une greffe de la culture mandingue sur la musique de chambre de son trio, La Litanie des Cimes. Avant son concert en ouverture de l’édition 2025 du festival Jazzèbre, on échange avec un musicien dont les grands écarts feraient pâlir quelques gymnastes professionnels.
» Mah Damba, c’est une djeli. Elle a grandi et vécu dans la tradition des griots. Les mots ont donc un vrai sens. Or, on est dans une société, dans un pays, dans une civilisation qui a un peu perdue de ça. —
Comment ça fonctionne ? D’un point de vue musical, et même au-delà, en termes d’émotions, de sentiments.
J’avoue que tout repose sur l’émotion de la musique et de la voix. On s’est plus appuyés sur ceci que sur le sens des paroles. Les textes sont assez rituels, sont issus du corpus complexe de cérémonie. Ce sont des chansons classiques. Mah les chante en Bambara.
Est-ce que ce format rigidifie un peu les possibilités d’improvisation ?
Effectivement, ça rigidifie un peu mais on garde quand même nos réflexes, les codes de jeu du trio, les parties instrumentales. On reste assez libres.
Dans ce groupe, il y a aussi une chose qu’on trouve souvent chez toi, c’est ce rapport au cérébral et au populaire, si jamais cela pouvait être opposable. Il y a, en tout cas, cette chose très écrite, très pensée, flagrante dans la musique de la litanie, et la tradition orale, la culture populaire et intergénérationnelle.
C’est la musique que j’aime. La musique populaire m’attire beaucoup. Dans la Litanie, il y a aussi de l’impro, venue d’une culture occidentale. À chaque version ou concert, on fouille un peu sur les mêmes terrains.
Mah n’a-t-elle pas infléchi votre musique, en vous racontant des choses, en vous en expliquant d’autres ?
Si, bien entendu. Souvent, elle nous a parlé. La construction musicale s’est faite dans les deux sens. Parfois, je lui ai proposé des textures, ou des bouts de morceaux, du son, et elle s’est dit, assez simplement, qu’elle allait chanter ceci ou cela. Et, quand même, à chaque fois, c’était bingo. Promis, ça s’est fait vraiment très facilement. D’autres fois, c’est Mah qui a proposé des chansons, j’ai cherché des trucs dans nos modes de jeu. Très simple, là aussi, vu qu’on se connaît quand même très bien avec Bruno et Élodie. On est arrivés à un répertoire simple et original.
Originalité, qui devient presque une familiarité si on suit ton travail. On retrouve aussi ce lien à l’aspect rituel de la musique.
Mah Damba, c’est une djeli. Elle a grandi et vécu dans la tradition des griots. Les mots ont donc un vrai sens. Or, on est dans une société, dans un pays qui ont un peu perdu de ça.
Il serait presque question d’archéologie, d’ethnologie, dans ce travail.
Oui, carrément.
Tu te confrontes, même physiquement, à la présence de quelqu’un qui descend d’une lignée de griot, dont tu organises la présence en scène avec vous. Qu’est-ce que cela peut avoir comme effets pour trois petits blancs becs ?
Il y a plein de choses dans ta question. C’est vrai qu’il y a un réel rapport à la tradition et à la tradition orale qu’on a quasiment perdu, puis retrouvé un peu dans les années 70 en Europe. Mais bon, ça reste quand même un peu léger à côté du niveau de développement de la culture mandingue et de l’art des griots qui se développe depuis le 13e siècle. On n’est pas tout à fait au même niveau. (Il sourit) La culture des griots, c’est tentaculaire. Je ne regarde ça qu’avec ma petite lorgnette au bout du couloir. Les griots racontent la grandeur de l’empire mandingue. Depuis sa création, ils doivent raconter l’histoire, et la généalogie, toutes les grandes batailles. Et ils racontent aussi des évènements liés à la colonisation, donc c’est 400 ans d’histoire. C’est fascinant de pouvoir présenter cela en concert. Ensuite, il y a la musique. Ce qui est plutôt du genre sensoriel, lié à une forme d’énergie, sans être pour autant ésotérique, disons à une intention que serait cette transmission d’énergie. L’idée ce n’est pas que ça soit juste joli, la musique, mais que physiquement ça puisse se ressentir. Quand on est en scène, à côté de Mah, quand elle chante, c’est assez fou ce qu’on ressent. De la puissance, de l’émotion, de la beauté. Ensuite, dans la musique de la Litanie, il y a beaucoup de choses répétées, cycliques, donc une autre forme d’engagement physique. Quand on a fini de jouer, souvent on a mal.
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propos recueillis par guillaume malvoisin, septembre 2025
photo © DR