« Ce quartet hétéroclite paie ses auditeurices de liquide. Faisant de chaque individualité un ruisseaux abreuvant l’étendue commune. »

à propos de The Ocean Whithin Us, samedi 8.11

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— chroniques

samedi 8 novembre

pascal niggenkemper,
the ocean within us

The Ocean Whithin Us. Avec un tel titre, il n’y a pas 36 façons d’aborder la chose pour un·e artiste. Un. Penché sur la surface, impuissant et rêveur à voir l’écume se renouveler sans cesse. Deux. En plongée dans les profondeurs organiques et sans silence. En gros, face à la mer ou sous la surface, Calogero ou Jacques Mayol, il faut savoir choisir son camp, camarade. À bien entendre les cinq premières minutes, on imagine que Pascal Niggenkemper n’a eu aucun souci d’alternative. Physiques, minutieuses, économes, pointilleuses et d’une densité où même une seiche n’y retrouverait pas ses petits. Dense et pourtant très fluide. Ce quartet hétéroclite paie ses auditeurices de liquide. Faisant de chaque individualité un ruisseaux abreuvant l’étendue commune. Par petites touches d’abord. La flûte égrène ce que le claviers suggère, complète ce que la contrebasse dessine. Les voix scandent doucement laissant avancer chaque cellules incomplètes ou esquissées, chaque motif rythmique évoqué vers une première déflagration Free et redoutable. Instant magnifique où tout explose aussi fatalement qu’un banc de maquereaux frôlant de trop près le Kolumbo. The Ocean Whithin Us est forcément tendu et explosif, avec un tel line-up. Franco-berlino-états-unien. Nourri de claviers progressifs, du Détroit techno comme du free ascentionel. Autre façon d’Internationale. Musicale et définitive, quant à ses possibilités de réussite. C’est furieux et amical, parcellaire et allégorique, enthousiasmant et déconcertant de simplicité. Sakina Abdou qui n’a de cesse de s’imposer sur les scènes actuelles est une sax fascinante, au sens premier du mot, dont on ne peut détacher son oreille. Terrienne et prompte à lancer des anthems sans anathème ni anicroche. Répondant aux trips classés classes des claviers par de la thématique post-bop diagonale ou des suées très libérées, Quelle violence somptueuse. Parfait pour laisser ruminer et grogner l’axe pensant du quartet. Pascal Niggenkemper, ici plus captain plus que commandant de croisière, a les graves aussi moraux que les travellings chez Godard. Ils alimentent une réflexion in situ et sans fin. Gérald Cleaver et Liz Kosack s’y engouffrent avec ce qu’il faut de délicatesse (frappes/touches) et de bizarrerie (distorsions vivaces et masques magnifique), pour que ce concert devienne in fine une descente joyeuse et intérieure dans des sensations insoupçonnées. Comme quoi la beauté peut bien naître d’une tête humaine et finir dans une flaque universelle. (gm)

david murray quartet

Marrant de penser que tout est parti dans un loft new-yorkais. Le genre d’endroit où la poussière d’hier retombe sur la lumière du jour. Ainsi s’est forgé le son de David Murray, auprès de son frère Sunny d’abord, puis s’est prolongé jusqu’à aujourd’hui. Incisif, flamboyant, éraillé et n’oubliant jamais ce petit qui pèse sur les hanches. Appelons ça Groove, pour dire le simple. Appelons ceci Great Black Music pour dire le mieux. Dans le pavillon de Murray, jamais moins en peine que quand il saisit son instrument, l’histoire et le renouveau. Don Byas versus Archie Shepp et Sonny Rollins, la jonction de ces trois exemples. Quelques décennies après la scène Loft qu’il traverse dans les 80’s, le son de Murray a pris de l’ampleur mais pas une ride d’inquiétude. Parfaits suraigus tenus en fin d’un set dédié au souvenir et au oiseaux. Grâce en est, sans doute à ce quartet où une (re)génération garde haute la tradition indolente, garde éveillées les possibilité de ce satanée socalled jazz. Ainsi de Luke Stewart. Mille façons de jouer : furibard, lyrique, bruitiste. Ici tenancier de rythmique d’une main de fer quand le piano impressionisto-clusterisant de Marta Sanchez la joue volubile et sans défaut, rapprochant avec malice main gauche et main droite dans le même discours, quand le drive inamovible de Chris Beck reste incassable même face au spoken Word, frenchy, cheap et suraffecté de Bird of Paradise. Stewart éclate, comme les vers de Rimbaud le faisaient. Avec le soleil en pleine gueule, avec la vulgarité transcendantale du bonheur expectoré bruyamment. Stewart, chéri de ces colonnes depuis sa découverte grâce au festival Sons d’hiver tient définitivement sa place des bassistes de quartet sur lesquels compter quand il s’agira d’écrire une nouvelle histoire du jazz post-jazz. (gm)

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textes de Selma Namata Doyen et guillaume malvoisin
photos © Teona Goreci, Jazzdor

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