« Ça traverse Monk, les Lounge Lizards, The Ex, ça se frotte aux marges chicagoannes tracées, notamment, par l’Art Ensemble ou Jaimie Branch. Punk ? Jazz ? Oui. C’est beau et insolent. Mais jamais indolent. »
[na], trio jazz-punk
— tutoriel
C’est qui ?
Selma Namata Doyen : batterie
Rémi Psaume : sax alto et baryton, effets
Raphaël Szöllösy : guitare baryton, effets
C’est quoi la combine ?
Du jazz. Oui, plus ou moins. Mais surtout du jazz qui, pour une fois, ne s’origine pas aux States. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, à l’est du continent africain. En Éthiopie, pour être plus précis. À bien entendre un des fondateurs de l’éthio-jazz, Getatchew Mekuria, cette musique vient des accords du krar, petite lyre sorcière et hypnotique. Tant pis pour les rois du Be-Bop, on prend, ici, la racine à la racine. Mais seulement, voilà. Quand on est des vingta/trentas, petits blancs et from Elsass, les influences s’enracinent à d’autres endroits. Chez [NA], il y a donc l’insolence et la liberté incantatoire des jazzmen de Chicago, le heavy blues, le Free, le lyrisme français des génies du 20e (le siècle, pas l’arrondissement) et puis une autre liberté, encore. Celle célébrée par des bataves punk de The Ex, par ex. Chez [NA], y a le son aussi. Battue lourde et imperturbable, basses à la rondeur puissante d’une wrecking ball qui ferait fondre Miley Cyrus, sax baryton (entre autres) qu’on pourrait qualifier de pyromane, si nous n’étions pas déjà en période de réchauffement climatique.
C’est bien ce passe-passe ?
Ah mais oui, ah mais bien entendu. C’est même très bien. Le trio sait manier l’insolence. Sa musique le prouve sans peine. Intranquille, lyrique et granuleuse. Paradoxe, oui mon cher. Et, c’est justement la marque de l’insolence déployée par [NA], le paradoxe. Revendiquée punk, nourrie de mandingueries et d’éthio-pentatonique et populaire, l’insolence. Ça traverse Monk, The Ex, ça se frotte aux marges chicagoannes tracées, notamment, par l’Art Ensemble. Punk ? Jazz ? Oui, on l’a écrit juste au-dessus. C’est beau et insolent. Mais jamais indolent. Tant pis pour la rime. [NA] joue comme des faux-calmes. Avec l’imprudence évidente que tout à chacun devrait explorer. Imprudent, donc indispensable.
C’est qui déjà ceux-là ?
Une fille, deux gars. La première tape diablement sur des fûts, les deux autres jouent du sax et de la guitare baryton. Des effets, aussi. Les trois sont comme les meilleures sosies : de Strasbourg (© DR-FS). Mais si ses influences sont patentes, le trio ne manque vraiment pas de personnalités. Selma Namata Doyen, en plus d’être amatrice de kitcheries poppy-turques et de grammaire allemande, s’est formée au contemporain à l’école des Percussions de Strasbourg. Raphaël Szöllösy et Rémi Psaume, eux, sont passés par le label Omezis, en jouant au sein d’ITJ. Les trois se sont croisés dans des formations éphémères, dans le cadre des soirées à thème que le label organisaient en 2019. Suite classique. Affinités, bières et échanges de playlists. Travail d’hyperactif, aussi, visiblement si on juge les pistes urgentes et massives, de leurs deux EP. Le trio est lauréat Jazz Migration #10, et récemment auteur d’un joli crossover avec Etenesh Wassié pour le Tribu festival 2025, histoire de remonter àç la source. Sinon, oui. [NA] écrit son nom entre crochets. Va savoir pourquoi, mais on s’en moque. Après tout, qui aura osé demandé à Mohamed Ali de justifier les siens, de crochets ?
La stat : 3.2
Chacun des instrus lead, ajoute des effets à sa cantine. C’est bien, ça augmente le trio, ça ouvre l’espace et l’atmosphère posée sur le drumming serré à la clef de 12 par la percuteuse du trio.
Le dico-éthio : Tezeta
Littéralement, la nostalgie. Mais comme un mot n’embrassera jamais l’entièreté d’un sentiment, imaginons cela davantage comme un état d’esprit. Proche de la saudade portugaise ou du blues noir-américain. Le genre de truc à vous rappeler une occasion manquée ou un bout de vie perdu mais terriblement présent, une ombre qui se rappelle à vous sans prévenir et vous met, le temps d’un clignement d’étoile, en vrac ou en rogne. Frappant dans une lumière telle, qui mise en musique devient tragiquement magnifique. Aucun rapport avec [NA] a priori, mais avec les racines de sa musique, sans doute, à entendre sa reprise de Sethed Seketelat.
Le profil du set : bifrontal.
On creuse d’abord le son. Longues intros imparables, où on ouvre le jeu et remonte le terrain. Mélancolie électronique, sax en mode snake, drive ultra solide sans en avoir l’air. Ça distribue, ça explore et ça prend le temps en laissant monter la tension. Puis on fausse le rythme pour aller au score. Là, ça rugit, ça hurle, ça perd de la rondeur pour vous balancer des aspérités et marquer en pleine lucarne. Aucun coup franc à prévoir, ce trio est le roi des tours et des détours. Dépassements et passes décisives à envisager en deuxième mi-temps.
La décla :
« Ethiopian music, whether mine or that of others, did not come from the music of the faranjis (étrangers). It began with traditional instruments : the krar, the masinko and the begena. »
Getatchew Mekuria, pionnier de l’ethio-jazz,
notes de
livret du disque Moa Abessa (2006)
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textes : guillaume malvoisin
photos © Alice Forgeot, Tribu festival 25
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[na] : infos +