« Il y a un vrai discours, des récits concrets à l’intérieur d’une vision musicale presque impressionniste. »
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Hélène Duret, clarinettiste
à propos de Building Instrument
le matrimoine de .pointbreak
— hélène duret
Née à Chicago, chanteuse et artiste engagée au grain de voix si particulier, revendicatrice de la parole afro-américaine abolitionniste. La version de Left Alone sur Straight Ahead, originalement écrite par Billie Holiday, m’a marquée pour le sens des paroles, l’épure qui s’en dégage et le son des cuivres qui s’unissent à la clarinette basse. Cette beauté sonore m’a habitée longtemps. J’en profite pour évoquer aussi Nina Simone, Etta James, Ella Fitzgerald, Whitney Houston, car la voix est un de mes appuis pour composer. Ces voix incarnent des personnalités puissantes qu’il est important de garder en mémoire, toujours. Je les ai choisies également car ce sont des musiciennes noires qui ont mené leurs carrières, jusqu’à en devenir légendaires, dans des contextes socio-politiques où la place des femmes artistes non-blanches n’était pas considérée. Ce phénomène me semble encore trop peu évoqué dans notre milieu, il serait judicieux d’ouvrir la porte sur ce sujet.
Tout d’abord, meilleur nom de groupe du monde ! Incontournable de la musique haïtienne des années 60. Je conseille Moun Damou et Consomin kompa. C’est par le plus grand des hasards que je suis tombée dans la musique antillaise et la culture créole. D’abord avec un groupe de covers qu’on avait monté avec des potes à Bruxelles, Le Bal Marie-Galante, puis par des rencontres musicales fortes lors de voyages en République-Dominicaine, Nouvelle-Orléans, Guyane et Colombie. Tout cela a ouvert très grand ma conscience de notre passé et présent coloniale. Passé qui devrait être mieux reconnu dans notre pays. Avec le temps, cette musique a transformé mon rapport aux rythmes et aux mélodies, autant dans le jeu improvisé que dans la composition, et même plus largement, a transformé ma vision de la vie.
Peintre, musicien clarinettiste/claviériste de l’avant-garde new-yorkaise, il naît d’une mère portoricaine et d’un père haïtien. Des couleurs, de l’instinct, de la force, de l’engagement, c’est un artiste entier qui, pour moi, symbolise très justement notre époque. C’est-à-dire une mixité culturelle et sociale qu’il est nécessaire aujourd’hui de reconnaître et d’accepter, ainsi que la puissante nécessité de remuer ciel et terre pour faire reconnaître son travail dans un monde où le mainstream et la mode sont incontournables autant du côté du public que des artistes. Lors d’expositions autour de Basquiat, j’ai pu apprécier les détails de son travail visuel et j’ai reçu, quasiment physiquement, des émotions en scotchant sur les textures, les mélanges de couleurs et de matières. Depuis lors, l’art visuel est devenu clairement un guide primordial pour ma musique.
Ellen Arkbro est suédoise, compositrice et chanteuse. Je l’ai découverte avec l’album I Get Along Without You Very Well, qui contient plus ou moins tout ce que je cherche en musique : des compositions aux structures diffusent, qui utilisent des puissantes mélodies chantées, des instruments à vent en lien avec les synthétiseurs, qui créent un son d’ensemble profond. Il y a, dans son écriture, quelque chose de prenant immédiatement. Sa musique est sobre et conceptuelle, mais reste connectée à l’émotionnel. Certains morceaux, comme Out Luck, me rappellent le groupe Radiohead.
Ce groupe britannique, et plus largement le rock, a accompagné ma vie d’adolescente et continue aujourd’hui de me nourrir. J’écoute Radiohead avec des oreilles différentes selon les étapes de vie que je traverse. Leur musique n’a de cesse de me fasciner et de m’inspirer, elle semble n’être jamais dépassée. Il suffit de s’intéresser au travail de Thom Yorke ou Jonny Greenwood, pour plonger toujours plus loin dans le puits sans fond de leur créativité.
Son trio avec Bill Frisell et Joe Lovano a été particulièrement influent pour moi. La musique y est lyrique, mélodique et tend vers un son chambriste, avec l’improvisation au centre. Dans ce trio, je perçois une écoute ouverte au maximum. Il semblerait que ce soit cet aspect qui prime avant toute chose pour diriger leur musique. La maîtrise du jeu, de l’instrument, de la compréhension de la musique font de ce trio une référence forte. C’est même ce qui pourrait être, pour moi, une définition du jazz.
Groupe norvégien assez peu connu, indé, très actuel, qui enregistre sur l’un de mes labels préférés : Hubro. Il y a beaucoup de mélanges dans leur musique. Les grooves et les sons de la batterie sont subtils et sublimement bien traités. La musique de la langue norvégienne, chantée par la voix de Marie Kvien Brunvoll, donne la direction à la beauté de leur son. Ils vont bien au-delà des accents pop. Il y a un vrai discours, des récits concrets à l’intérieur d’une vision musicale presque impressionniste. Tous les albums ont leurs spécificités propres, mais, pour ma part, je conseille vivement les albums Kem som a leve et Building instrument. C’est un groupe qui joue beaucoup en Europe, un peu moins en France. Notre terreau artistique gagnerait à connaître un groupe comme celui-ci.
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textes : Hélène Duret
article extrait du numéro 7 de la revue papier