les disques du mois
OK podium
avril-mai 2025
heavy rotation à la rédaction de PointBreak
— sélecta de Selma Namata et guillaume malvoisin










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Famo Mountain — For Those Left Behind
— Glitterbeats Records
DUn accordéon, deux bidons, cinq survivants. Et une musique qui tient plus du cri que du folklore. For Those Left Behind de Famo Mountain est un disque sans vernis, enregistré dans les hauteurs escarpées du Lesotho, petit royaume enclavé d’Afrique australe. Issu du genre famo, une musique née parmi les ouvriers basotho exilés dans les mines sud-africaines, le groupe façonne un son aussi rugueux que les montagnes qui les entourent. Entre les coups de tambours faits maison, la voix tremblante de Tebotho et les interjections exultantes de Leeto, on navigue entre politique, douleur contenue (I Miss My Wife, She Left to Find Work in South Africa) et résistance farouche (My Struggle to Survive). Pas un disque « du monde ». Un disque du réel. Qui gratte, qui cogne, qui tient chaud.
— sn
Romano — Güle Güle
— Batov Records
Güle Güle (littéralement, au revoir, pars en souriant) c’est du funk levantin dopé aux claviers vintage, naviguant entre Tel-Aviv, Istanbul et une boule à facettes. Romano, enfant de la sono mondiale, empile les riffs orientaux, les basses qui roulent et les solos de trombone comme on assemble un mezze bien chargé. Ça groove, ça rigole, ça transpire. Comme s’il mixait pour un mariage sur la Lune. Des pépites comme Guzleme ou Hai Hai font danser les pieds et froncer les sourcils en mode « mais c’est quoi ce truc, c’est trop bien ? ». Bref : à écouter fort, et pas qu’avec des connaisseurs.
— sn
Emma-Jean Thackray — Weirdo
— Brownswood Recordings
« Je pense que nous avons besoin de parler des choses sombres que nous avons dans la tête, et trouver de l’humour dans tout ça ne fait que faciliter les choses. Les paroles sont très proches d’un journal intime, de la poésie confessionnelle, et l’émotion brute est contrebalancée par des harmonies jazz luxuriantes, des synthés époustouflants et un côté pop punk ». Mieux qu’une série TV sur les HPI, ce disque-déclaration d’Emma-Jean Thackray, une des madones de ce magazine avec Sade et Jaimie Branch. Après le très beau Yellow, ce dernier disque en forme de pensée soliste et réflexive renoue avec la prod bricolo de Ley Lines. EJT sait presque tout faire et ça s’entend. Pop soul, patterns hip hop, voix altérée d’une soul particulière. Tout s’éclaire au fil des 19 plages de l’Anglaise multiprises, qui ne sonneront bizarres qu’aux oreilles des puristes et des quidams. Pour les autres, Weirdo vaudra mille fois mieux que tous les Creep de la terre.
— gm
MOPCUT — RYOK
— Heat Crimes
Organique, sale et très brillant. Mopcut avec RYOK mise sur la saumâtre, l’hybridation et les murs de sons. Après les maçons du cœur, voici les maçons de la fureur. Il faut enfouir ses tympans et sa cervelle, plonger dans la matière du trio devenu quintet avec Moor Mother et MC Dälek. On tombe alors tête la première dans la densité politique, Ceasefire, les dents en avant dans la masse sonore. Ne serait que pour se chauffer au bois des baguettes de Lukas König dont le drumming, tapageur et soutenu par la guitare cubico-bruitiste de Julien Desprez, ouvre des espaces à scandales. Le genre de scandales qui vous met à genoux, avec le sourire. Ce RYOK, une fois enclenché, ne vous lâche pas. Les voix vous rapportent des souvenirs de Madvillainy, puis emportent avec elle vos questions de style et un bout de votre âme. Ce disque est dangereusement bon.
— gm
Sami Galbi — Ylh Bye Bye
— Les Disques Bongo Joe
Avec Ylh Bye Bye, Sami Galbi, envoie valser les frontières à coups de chaâbi trafiqué, de trap crade et de synthés bien cramés. Son premier album venu de Lausanne (mais le cœur à Casa) tape fort : bendir, autotune, basses qui bavent et lyrics entre galère de diaspora et fiesta sous tension. Dakchi Hani tabasse, Casaflex fait transpirer, Rruina t’attrape par les sentiments. C’est brut, dansant, bordélique. C’est un album qui sent le départ, le retour, et un peu la clope froide dans un taxi partagé.
— sn
Otomo Yoshihide – Emilie Škrijelj, Tom Malmendier
– Weird morning meeting — eux sæm
Un Japonais, une Française, un Belge. Deux platines, une batterie. Et zéro plan. Sorti le 2 mai 2025, Weird Morning Meeting est un grand moment de café serré pour tympans éveillés : 44 minutes d’impro radicale enregistrées live à Marseille, sans filet ni pause pipi. Otomo Yoshihide, Emilie Škrijelj et Tom Malmendier se croisent dans un free-jazz bruitiste à base de platines rayées, coups de caisse claire secs comme des gifles, et silences tendus comme un lundi matin avec des gens qu’on connaît pas. C’est dense, absurde, bordélique, super fin, un peu méchant aussi — bref, totalement vivant. Une rencontre matinale cheloue, oui. Mais qu’on n’oublie pas.
— sn
Paula Sanchez — Pressure Sensitive
— Relative Pitch Records
Un titre paradoxal. Une technique de jeu paradoxale. Un line-up, violoncelle et cellophane, paradoxal. Paula Sanchez estime donc les paradoxes. Et c’est plutôt pas mal, car Pressure Sensitive, dans son érotisme vinyle comme dans l’imagerie forcément dérangeante qu’il tutoie, l’asphyxie, c’est cool disait feu David Caradine, ce disque s’amuse de ses contrastes. Tendu sur le fil qui sépare musique expérimentale, improvisation et body-performance, ce disque met en scène extérieure la psyché musicale de Paula Sanchez. C’est dense, violent, grinçant. Jamais vraiment amical, noir profond et profondément vulnérable. Mais, malgré ces épithètes et substantifs, la musique qui jaillit de Pressure Sensitive a une force libératoire. L’espace sonore est mouvant et joue parfaitement avec les dynamiques de volumes, scotchant un gradateur au Néant, très drôle à manipuler de l’oreille.
— gm
Muito Kaballa — Loving You – EP
— Batov Records
Loving You est du genre à faire fondre doucement sans jamais ramollir. Basé à Cologne, Muito Kaballa tisse une musique oldschool et hybride, à la fois précise et vaporeuse, où les cuivres respirent, les beats chaloupent et les synthés ondulent comme dans un rêve éveillé. Entre nu-jazz cotonneux, groove indie-pop et fusion cosmique. Dès Flowers Only Grow After The Rain Falls, le ton est donné : une soul jazz en apesanteur, qui s’installe sans forcer. Plus loin, In My Delir (avec Petite Noir) vient injecter une tension douce, avec un afro-groove minimaliste et hypnotique. L’ensemble est feutré, un brin psyché, comme une BO de romance interstellaire. Un EP pour flotter en douceur, cerveau à demi déconnecté, entre introspection soyeuse et vertige synthétique.
— sn
Julia Mestre — Maravilhosamente Bem
— Mr Bongo
Quand Mestre sort Maravilhosamente Bem, elle lui trouve le titre parfait : merveilleusement bien foutu. Dans ce troisième album solo de la chanteuse brésilienne (membre de Bala Desejo), ça se balade entre balades lo-fi façon années 80, disco suave, MPB sentimentale et clin d’œil aux grandes divas du passé. De Donna Summer à Rita Lee. Mais attention, ici, la nostalgie n’est pas poussiéreuse : elle est stylée, bien produite, et portée par une voix à la fois douce et habitée. Mention spéciale à Vampira, tube potentiel en robe noire satinée, et Sou Fera, hommage mi-glam mi-sauvage à la reine Rita. Le tout s’enchaîne comme un vieux film romantique qu’on connaît par cœur, mais qu’on ne se lasse pas de revoir. Un album pour danser lentement, draguer doucement, et pleurer joli.
— sn
Ozma — The Day We Decided To Live At Night
— Berthold Records
À en croire le titre de ce 8e disque, pour en croiser les musiciens d’Ozma, il va falloir sortir la nuit. Graphisme nocturne, hérité de quelques lectures de SF, la pochette est aussi acérée que l’écriture des morceaux. Tout semble pesé, le trait des détails cristallins bienvenus comme les souvenirs appuyés et cursifs d’une période où le rock se faisait hard, se voulait explosif. Americanas aux pieds et breaks de batterie très volubiles dans leur spleen. Dans sa virée nocturne, adolescente et dynamique, Ozma place ce Metalycra, en présence d’une musicienne adorée par ici, Delphine Joussein. Échappée de Nout et de Calamity, sa flûte beuglante sautille joyeusement avec des baskets de plomb sur le morceau. Ailleurs, mélodie limpides et traits de synthés éthérés se partagent le reste du décor de ce long-métrage musical. Écouter ce disque, c’est un peu revenir à ces virées en 103 SP où on rejouait, sous son casque intégral, les meilleures scène de Blade Runner.
— gm
Bill Evans — Interplay
— rééd. Craft Recordings
En mai, fait ce qu’il te plait, Bill Evans, lui, joue du piano et Craft Recordings ressort, Interplay. Mot sésame du jazz, l’interplay. Membre du club des intraduisibles, mystère auquel sacrifie tout improvisateur, point de repère de la qualité de toute formation. Comment ça circule la musique ? Pas trop mal, semble dire le pianiste du New Jersey sur ce disque, paru en 1962 sur Riverside, où l’interpolation se joue avec Freddie Hubbard, Jim Hall et la paire magique Percy Heath et Philly Joe Jones. Composé de ré-harmonisation de standards cool des roaring 30’s, cet Interplay pose les jalons du travail d’Evans, sa science de l’espace comme la douceur cruelle de ses arrangements. Pause dans la splendide période des trios, un peu avant le mysticisme des derniers années, Interplay cherche, inlassable et têtu, et parvient à déterrer les clefs de la grande cave à trésors du jazz moderne. A réécouter ad lib.
— gm