les disques du mois
OK podium
fevrier 2025
par la rédaction de PointBreak
— sélecta de Pierre-Olivier Bobo, Selma Namata, Lucas Le Texier et guillaume malvoisin










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Stein Urheim — Speilstillevariasjoner
— Hubro Records
Au-delà de la découverte intriguée d’un leader de projet jouant du générateur de tonalité sinusoïdale en intonation juste, Stein Urheim vient nourrir quelques unes de nos obsessions. On ne sait pas vraiment d’où nous est venu cette habitude à chercher fantômes et cowboys sous la pochette de pas mal de disques reçus, mais là encore, ce réflexe s’est enclenché durablement. Dans la maîtrise de chaque drone, chaque glissement microtonal imperceptible. Si l’art de Stein Urheim est patent, il n’est en rien démonstratif. Et cette jolie folie qui le pousse à combiner art et instrumentarium populaires à la science exigeante de la composition contemporaine, n’empêche en rien ni jamais son pouvoir de narration. D’où ces westerns, sans exagérer, sans clichés, ouverts sur des espaces musicaux incroyablement vastes et mystérieux. D’où ces fantômes sortis de je ne sais quel dégel prématuré.
— gm
Jimi Tenor with Cold Diamond & Mink — Summer Of Synesthesia
— Timmion Records
Jimi Tenor est comme un mentor. Il disparait après avoir laissé quelques consignes, dérouté avec ses leçons étranges, et fini par rassurer en revenant tout sourire. Ce Summer Of Synesthesia sonne donc comme un sourire. Langoureux, voluptueux et criblé d’étoiles moites. Ça pourrait en remontrer à l’écurie Big Crown, c’est savoureux. On est chez Tenor, c’est très fort. Parfait pour une sortie d’hiver. Plus amusant, la face B de ce single incongru. Tsicroxe vous la fait à l’envers. Littéralement. Du titre jusqu’au dernier solo conçu pour être lancé en mode reverse sur les platines vinyles. Quel intérêt ? Aucun, si ce n’est celui du jeu et du plaisir, presque un luxe ces temps-ci.
— gm
Oklou — Choke Enough
— True Panther Sounds
La musique d’Oklou provoque des choses assez irrésistibles en moi. Que ce soit avec sa mixtape Galore, incroyable objet pop slash ambient slash R&B électronique sortie en 2020. Que ce soit dans ses interviews et ses stories où on reçoit un truc de sincérité, sans retouche, assez rare finalement chez les artistes. Galore a été clairement un micro-choc, la sensation de découvrir un nouveau monde. Alors on fait comment, avec tout ça sur les bras quand s’annonce un « premier vrai album » ? J’ai l’impression que Choke enough reprend les codes de Galore, sans qu’on tombe dans la redite de la formule magique. Il y a un souffle différent. Comme une épice qui va donner une autre couleur au plat. Il y a tous ces détails dans les mélodies, les reverbs, cette application, ces trompettes, ces références, cette intimité perçante tout au long des minutes qui s’égrènent. Et puis, il y a ce moment de grâce. Blade Bird, 13e et dernière piste de Choke enough, sorte de pop song définitive et imparable construite sur un air de guitare et une rythmique à la Gorillaz. Majestueux.
— pob
Merle Travis, Mac Wiseman, Joe Maphis, Fiddlin’ Red Herron
— The Clayton McMichen Story — CMH Records
Dans la vielle histoire de la musique populaire américaine, il y a Clayton McMichen, violoniste américaine connu pour sa participation aux Skillet Lickers de son homologue Gid Tanner. Ce vieux groupe hillbilly à cordes de Georgie a marqué l’histoire de la country, d’où cet hommage de 1981 porté par Merle Travis et Fiddlin’ Red Herron, réédité par CMH Records. L’histoire de McMichen, c’est celle des cow-boys musiciens qui manient aussi bien les airs traditionnels de country (Peach Pickin’ Time in Georgia) que les vieilles mélodies de jazz (Limehouse Blues) ou le ragtime des années 10 (Darktown Strutter’s Ball). Un répertoire protéiforme, fil rouge du lien culturel commun aux classes populaires américaines du début du XXe siècle.
— llt
Preservation Brass/Preservation Hall Jazz Band
— For Fat Man — Flail Records
La bande du Preservation Brass, résident permanent du mythique Preservation Hall, sort un album hommage au feu percussionniste Fat Man, pseudo de Kerry Hunter (New Birth Brass Band), décédé l’an dernier. Et pour l’accompagner en guise d’oraison funèbre, le Preservation souffle moderne et pense tradi, dans cette combinaisons propre de vieux tubes de NOLA (Bill Bailey) et de purs passages soufflants-percus façon Black Indians (Jock-A-Mo, Big Chief Coming). Le Brass band du Preservation a ce son paradoxal, grouillant et volubile, épais et fluide, qui colle à la peau des airs bluesy un peu canaille du sud états-unien (Lucky Dog). For Fat Man est une carte sonore contemporaine parfaite de ces éternels ragtimers de la Nouvelle-Orléans.
— llt
Sababa 5 & Sophia Solomon – Shehzadi / Ranjha
— Batov Records
Quand Bollywood croise Tel-Aviv, pas de romance parfumée. Ça tape, ça groove et ça surprend. Shehzadi (Princesse) déborde d’un Indo-disco tendu : basse bondissante, batterie millimétrée, guitare discrète et synthés étincelants. Au-dessus, Sophia Solomon trace la voie avec des lignes de chant limpides et habitées. Le tout respire une nostalgie 80’s bien digérée, sans jamais sombrer dans la redite. Ranjha (Amant) change la donne. Les synthés imitent le saz, la batterie cogne plus sec et la voix se fait plus directe. Les pauses tombent juste, les montées s’emballent. C’est brut, mais jamais brouillon. Sababa 5 et Solomon livrent ici un double A-side qui bouscule les lignes sans forcer le trait. Pas besoin d’en faire trop pour que ça reste en tête.
— sn
Martin Circus — Evolution française 1969-1985
— Born Bad Records
On dit que la musique adoucit les mœurs, mais avec Martin Circus, elle fout surtout un joyeux bazar. De 1969 à 1985, le groupe se réinvente sans cesse : rock progressif habité (Tout tremblant de fièvre), délires psyché (Les Indiens du dernier matin), disco débridé avec Disco Circus – remixé par François Kevorkian et devenu un classique des clubs new-yorkais. Puis viennent la pop acidulée (Mon premier Hold-up), la new wave glacée (Bains Douches), le proto-italo-disco (J’t’ai vu dans le canoë) et le groove sophistiqué de Pourquoi tu m’lâches pas. Trop rock pour être pop, trop disco pour les puristes, trop barré pour les boîtes de nuit, ils n’étaient jamais là où on les attendait.
— sn
Park Jiha – All Living Things : L’écho du vivant
Glitterbeat Records
Ici, tout respire. Pas besoin de gros drops ni de refrains qui te rentrent dans le crâne. Park Jiha laisse la nature s’exprimer, peinarde. Avec All Living Things, la compositrice coréenne bricole un équilibre parfait entre instruments traditionnels – piri (hautbois coréen), yanggeum (cithare frappée) et saenghwang (orgue à bouche en bambou) – et nappes électroniques planantes. Blown Leaves tourbillonne mollo, comme des feuilles qui savent qu’elles finiront sous la pluie, tandis que A Story of Little Birds gazouille en sourdine, sans se presser. Ici, pas de grandiloquence : juste du souffle, du silence et l’art de prendre son temps. Un disque discret, qui s’incruste sans prévenir. Le genre à t’habiter quand tu t’y attends le moins.
— sn

Archetypal Syndicate — Happy Transmutation
— Nunc Records
Ce trio est loin du minimum syndical. On sait la verve de Paul Wacrenier quand il s’agit de repousser toute définition de frontière et de limite, d’invoquer la puissance consolatrice de la musique, avec son grand ensemble Healing Orchestra, entres autres. Dans ce disque-monticule, assemblé avec Sven Clerx et Karsten Hopchapfel, cette verve est au service de la musique, dans son pouvoir fédérateur. L’imaginaire commun y vagabonde à loisir. Westerns dégingandés avec Tatiana Paris, road-movie ferroviaire où remuent Richard Comte et Sarah Colomb, duels nocturne et organique avec Sarah Colomb, Richard Comte et Julien Pontvianne. Sous les grooves et polyrythmies captivantes, il y a aussi une économie d’énergie et un artisanat de veille impressionnant. Agissant dans les recoins d’une densité instrumentale et mélodique impressionnante, dans les clairs et les obscurs de ses récits. Chaque pause méditative ou assaut hypnotique s’échappe aussitôt reconnu·e. Et c’est justement là, la réussite. Ce disque nous est familier parce qu’il nous échappe.
— gm
Q Lazzarus — Goodbye Horses, the many lives of Q Lazzarus (OST)
— Sacred Bones Records
Ma grand-mère disait souvent, qu’il y avait un bondieu pour les ivrognes, quand on voyait un poivrot tomber du trottoir et se relever sans une égratignure. Il y a peut-être aussi un bondieu pour les coiffeurs, à bien considérer le retour de la hype pour le mulet, les dégradés-dessinés et cette bande-son rêvée pour Tiff’any et Brind’Hair. Q Lazzarus est passée comme une comète multiple dans les années 80. Film-recap sur sa trajectoire et ce disque, comme une madeleine synthétique offerte à la génération Miterrand. Force tranquille, Q s’est en douce dans le cinéma de Johnathan Demme et a bousculé durablement le Silence des Agneaux. Aujourd’hui, pépite mémorielle ou purge de synthèse, cette musique reste addictive. Cette compile en guise de réévaluation est carrément bienvenue. Pour le soin du cheveu comme les soirées interminables pour tituber dans les free party et autres bunker palaces.
— gm