4 jours passés dans la cité cathare. PointBreak est entré au cœur d’un festival multiple, et où la musique a des airs d’insolence. Chroniques live prises sur le vif d’une musique lovée dans ses révoltes intimes et foisonnantes.

textes : guillaume malvoisin
photos © DR
/ 29 janvier – 1er février 2025

Albi 2025
albi jazz festival 2025

chroniques

oiseau ravage
eve risser & Alexandra grimal
oan kim & the dirty jazz

bretch
le quadrivium
l’arbre rouge
african jazz roots
nout

might brank
bedmakers
louis sclavis – India
orchestre incandescent
2035

interview :
lea cuny-bret

mercredi 29.01

Plumes de caoutchouc, tambour républicain, objets divers, reliques de familles. Du jazz bricolé, Oiseau Ravage ? Éclectique, plutôt. À l’image du festival qu’il ouvre sous le chapiteau du Magic Mirror. Montée sur le parvis du Théâtre, l’Idolize donne à ce qu’on cherche toujours à définir comme étant jazz, des airs forains bienvenus, une assemblée à l’écoute, quelques exclamations sauvages. Au micro de CFM radio, Marek Kastelnik traçait un peu plus tôt, une apologie minuscule du vertige, jouée dans le duo. Mise en acte super vite, dès le début du set. Contre la trouille qu’ont certain.es de ce ‘jazz’, Oiseau Ravage pourrait inventer l’intimimidation culturelle. Un bazar inquiétant et réjouissant. Bastringue Kurt Weil, poésie dada lunaire, ostinatos populaires. Kastelnik et Charlène Moura, rejeton d’Uzeste entre autre, détournent tout ce qui leur passe sous les doigts, pour créer leurs pocket symphonies. « Ça valait le coup de rentrer », disait plus tôt une dame apprêtée et « pas très très fan du jazz compliqué ». Pas compliqués ces zozios-là, débarqués en sifflotant, à hauteur d’humains, les yeux en l’air vers le monde sauvage, les farces circassiennes, les dodos, les garçons de plage, les citations bop — sax alto et Bird, forcément pas loin. Oiseau Ravage fait son chemin d’impro à coups de becs et de plumes, jouant à l’exposition. Limite autant que charme de leurs aventures, doux plaisirs ciselés à la main et posé quelque part entre la muzak, l’alternative théâtrale, le jazz d’illustration et un blues de chambre, piaffé nocturne. Sereins serins.

Albi 2025, Eve Risser
Albi 2025, Eve Risser & Alexandra Grimal

Éclectisme encore, pour le premier concert de la première soirée. Neige, Norvège, oiseau, japon, quelques cendres et des éclats de Free jazz d’Harlem. Carla Bley et d’autres grandes figures viennent saupoudrer le tout, comme la neige saupoudre les routes où on prend plaisir à se perdre en hiver. Long compagnonnage avec Ève Risser, artiste arpenteuse associée à la scène nationale, en cheville ouvrière, avec Alexandra Grimal pour cette création piano, sax et alentours. Comme Carla Bley, n’est jamais vraiment maltraitée quand il est question d’inventaires diagonaux, la diagonale empruntée par les deux musiciennes, peut verser tranquillement dans une contemplation intime et profuse, amusée de tautologies – la pièce Janvier a été écrite en janvier — et de traductions approximatives. Juste de quoi pousser la paire Risser/Grimal vers des terrains où on la sait l’aise : une musique des marges, songeuse, dirait sans doute Totor Hugo. Après l’Après un rêve, Risser semble définitivement posée dans les plis de ses obsessions, explore encore un peu plus la cartographie nébuleuse de sa musique. Et Alexandra Grimal n’est pas le moindre secours dans cette aventure. La sensibilité, jamais exacerbée, s’appuie sur l’aciditite de son soprano, du velours perlé de son ténor. Le duo procède par touches d’une grande douceur et une fluidité ludique. Musique puissante ou force tranquille ? Pas certain de vouloir trancher, tentons ceci : une sororité en action. Deux femmes rivalisent de force d’évocation, assurée dans les hiatus d’Ictus comme dans la laideur magnifique d’Ugly Beauty, chipée à Monk. La laideur est d’ailleurs de passage, dans le set. Mais, elle-même défigurée avec soin. Laideur du silence imposé parle manque de mot, hommage à Barre Phillips, laideur qui déforme les yeux face certains paysage dont les mystères nous échappent, comme dans cette pièce, Sad Singer/Sad Song, née d’un séjour en Estonie, où de mini-clusters se défilent au contact de mini-stridences, où le thème avance par tentatives et décollement sans jamais aboutir. D’ailleurs, dans ce set rien n’est résolu. Et naît une petite parenté avec Cecil Taylor, pianiste s’amusant de thèmes à l’aide d’une rage contenue et enfouie. Exemple avec ce Hors-piste, faux ragtime degingandé, vrai source incendiaire. Tout s’y allume d’un flou cristallin et multiple, accompagné de pas mal de fantômes parfaits.

Autre perfection, autres histoires de fantômes, et d’ugly beauty. Le petit cinéma dirty d’Oan Kim a le jazz pourpre et lourd, nervuré et réverbéré à outrance. Le saxophoniste a l’art, adoré chez PointBreak, des mélodies simples et parce qu’elles sont simples, dangereuses. Ne pas s’en méfier vous pousse dans le ravin, du genre de ceux où le post-rock se coagule à la syncope, où vous pouvez oublier jusqu’à la lente complexité de qui vous êtes. C’est amusant la jonction possible avec le traitement de la mémoire chez feu David Lynch, cinéaste tout juste disparu près des flammes de Los Angeles. Tout à l’écho, comme résurgences fifties où la candeur, les hoquets du King, le pastel et la gomina faisait le Rock’n’Roll. Pourtant pas simple la reverb sur la sax. Poussée large, on a l’érotisme de synthèse de Careless Whisper, laissée jolie, on a la nostalgie chromo de Blues trottoir. Le Dirty jazz de Oan Kim, dans sa façon de beauté moite, a trouvé le bon dosage. La trouvaille reposant sans doute sur la science du décalage, au sein du groupe. Batterie free sur groove funk, patterns blues sur piano symboliste, etc. Il y a pas mal d’autres démons du genre dans le quintet de Oan Kim, homme d’image par ailleurs, photographe et réalisateur. Malin quand il s’agit d’appliquer à sa musique l’art du glitch en vidéo. Ce petit parasite, qui tend à l’imperfection, puis révèle en degradant le signal. Ici, c’est Soulville éclairée au néon clignotant, ce sont Lester Young et Illinois Jacquet buvant du vin, ou du Gaillac tiède, ce sont des danseurs de lindy hop habillés de scaphandre. Bref, quelque chose qui cloche toujours un peu et fournit l’étrangeté féconde d’un set qui n’en finit pas de finir, sans peut-être même avoir commencé. Pas mieux pour une ouverture de festival.

Albi 2025, Oan Kim & The Dirty Jazz
Albi 2025, Oan Kim & The Dirty Jazz

jeudi 30.01

« Un langage sans malice est signe de sottise », écrivait Bertolt. Bretch confirme. Malice DIY et sensibilité autogérée, en bandoulière. Sam Brault et Ludovic Schmidt (excellent souvenir mulhousien il y a quelques années au sein de la très brûlante Baraque à Free) augmentent leur atelier en réduisant les effectifs. À eux deux, ils manient le primitif et l’élégance, le rugueux et la fragilité lyrique. Chansons improvisées, petite boutique à hypnoses inventées, inventaire de détournement, berceuses traditionnelles revisitées. Tout est patient, grenouillant sous la surface d’expériences sonores retenues à l’essentiel. C’est très beau de voir à l’œil nu le chant se fabriquer, dans les détours de la noise et du son brut. La langue chantée par ces finalistes JazzMigration #10 est précise et vernaculaire, métamorphoses tragiques, jardineries populaires y compris. Leur parole invente, quant à elle, des néologismes actuels, très mignon « cachecacher ». Et dans l’entre-deux, trompette et larsens ré-imaginent flûtiaux et tambours. Ici, un groupe d’enfant se lève ‘inopinément’ pour compléter un chant. Là, le synthé modulaire se frictionne avec les mélopées anciennes. L’art populaire du récit, se fait miniature, proches de ces enluminures géniales médiévales, et expérimental, plein d’un grain qui colle au tympan pour longtemps. Fin de set sur un chant révolutionnaire catalan, Avril 74, signe des temps. « Et si par un triste sort je me retrouve à terre, portez mes chants et un bouquet vermeil à l’être que j’aime tant ». Chez Bretch, on est bien à l’abri de toute sottise, mon vieux Bertolt.

Albi 2025, Eve Risser
Albi 2025, Eve Risser & Alexandra Grimal

Le Quadrivium joue à la limite des structures complexes. Choisies, ciselées amoureusement par Emmanuel Scarpa, batteur leadeur, et chanteur ici, pour ne rien céder à la facilité. Chansons populaires anciennes, pour le duo, le quatuor vise le fin’Amor du douzième, et surtout le quatorzième siècle, les jeux de rythmes qui en découlent, les clair et les obscurs. Joli lien avec le duo de Bretch, en session au même endroit, à 12h30. On plonge dans des travées similaires de l’histoire de la musique française, ses quarts de ton d’élégance et de mise à distance frivole. Outre que ce quartet se voit ficelé avec des représentants d’une génération au four et au moulin de l’inventivité frenchy, la joie, encore fraîche, de l’assemblage réside dans son pari. La musique est au centre des débats et l’atelier commun avance avec sa tâche. Complexe ? Oui. Livrer pulse renaissance et grenaille expé, peut surprendre à l’heure des planchettes mixtes. Mais. Nulle part n’est écrit qu’un apéro doit être forcément accompagné d’un trompettiste expat jouant des mièvreries nostalgiques sur sa ville natale, par exemple. Ce quadrivium inaugure ses très beaux lais de France. Progressifs, complexes et massifs. Punk et cubistes dans leur conclusion.
À Dijon, en Bourgogne, dans les années 70 et 80, la mère Veil tenait une quincaillerie sans âge. Cette vieille femme, d’une lenteur magistrale, incitait sans cesse les mômes venus chercher des vis ou de l’anti-mites à ne pas ramasser leurs centimes tombés au sol, puisqu’ils seront « le début de la Fortune pour ceux qui les trouveront ». Histoire de la graine et du fruits à venir, analogie petit-captaliste du bon secours et de la jardinerie. La Mère a disparu depuis, tout à fait nantie. L’Arbre Rouge d’Hugues Mayot n’est pas loin d’agir pareil. Capitalisant sur sa seule capacité d’émerveillement, sans calcul ni retenue. Bien sûr le boisé du son (violon, cello, contrebasse, basson, clarinettes/sax  – quinte flush) y est pour beaucoup. Mais chaque motif lancé à la cantonade finit en hymne minuscules, au sens où Pierre Michon traçait ses Vies. Simple, multiple et légèrement retorse pour la joie de la compréhension. Dès le morceaux d’entame. Tout est en place. La tradition post-Trane (avec Apparition, on est tout près tout proche du Love du même ténor), mais à la française comme les jardins (encore) sont à la Française. Complètent ceci les répétitifs américains, les apports de la musique de chambre et une économie de moyens fascinantes dans la mise en œuvre de ce qui est joué. Volubile sans être loquace, l’Arbre Rouge vous attrape par sa face solaire. Sophie Bernado, redescendue de son très beau Célestine in the Clouds aperçu cet automne à Strasbourg, peut souffler andalou-medival, Clément Janinet et Bruno Ducret maintenir ostinato et pulse quand Étienne Renard, remplaçant premium pour ce match, jouer de sa force tranquille détachée, claire et bleue-noire. On l’a lu souvent, voire écrit dans ce même magazine. La France est un pays qui ne sait que très peu danser. Ensemble, genre mariages et enterrements. L’Arbre Rouge fait, pour une part infime mais primordiale, mentir cette idée. On danse dans sa tête, comme ahanait Ornette.

Albi 2025, African Jazz Roots
Albi 2025, African Jazz Roots

Deuxième soirée et l’Albi jazz Festival s’affiche comme un drôle endroit. Soujacent à sa programmation, transgénérationelle, et très éclectique, émerge l’idée d’un ‘jazz’ qui s’ausculte, carrément porté sur l’introspection publique. Racines traditionnelles et renaissance, apports chambristes, lien à l’expérimentation, et à ses racines africaines. Dont acte avec African Jazz Roots, quintet inventé à Saint-Louis du Sénégal par Simon Goubert et Ablaye Cissoko. Set en forme de carnet de voyages, esquisses de paysages, anecdotes dans la marge, récits entre les agrafes. « Essayez de ne pas prendre quelque chose qui ne vous était pas destiné », conclut en morale un des intermèdes du set. Pas meilleur debrief pour un quintet à cheval sur l’Afrique et l’Europe, plongé dans la matrice à l’ancienne d’une musique créolisée. Calebasse posée tout près des drums vanderiennes, piano cursif tout contrée les arpèges de kora. Le tout soutenu par la basse, véloce et inamovible. Rater un tel mélange serait gâcher, mais le conduire à déposer le public sur la Lande de Barbarie, c’est vertueux. Comme ce vieil homme perché humblement dans les hauteurs de la salle, pour y danser en secret.
Sans secret, danse Nout. Musique joufflue comme les angelots des poteaux du Magic Mirror qui reçoit l’After. Punk dégingandé, roots underground. Plus ça avance, plus le trio se débarrasse de choses qu’on aurait pourtant juré nécessaires. Ça joue compact, ça joue à l’os. Des tubes comme Mare aux Canards sont remis sur l’établi pour une énième fois, battus au fer rougi. C’est flamboyant, brutal et parfaitement délectable. Après les 12.657 dates de ces trois dernières années, juste pour pousser le plaisir un peu plus loin dans ses limites. Dancefloor hardcore, science du contact humain, blagues frontales et featuring de Clément Janinet, descendu de son Arbre Rouge pour des choses plus électriques. Juste pour pousser le plaisir, encore un peu avant la fin. Du monde et du reste.

Albi 2025, Nout
Albi 2025, Nout

vendredi 31.01

Mieux qu’un faux Rital roucoulant sous brillantine, ce Might Brank-là n’a pas rien qu’une larme à ses artifices. Mais une idée fixe. Dépouillement et renaissance. Poussant les idéogrammes de son Quadrivium, entendu la veille, Scarpa frappe de justesse son set ajusté. Écho de théâtre vocal, a cappella roots, emprunt au Sacre du Printemps, riffs rodés, punch drunk et chamanisme psalmodié sous hypnose. Comme dans son Onomato, Scarpa quadrille. Vite et bien. C’est une belle fête, chantait le vrai Mike.

Fête encore, jour de sortie de disque, Passe montagne est out. Apéro périlleux bis. 18h30, comme on fait son lit on se couche. Pas certain que les Bedmakers le soient, couchés, mais leur lit est loin d’être fait au carré. Ça joue à qui mieux mieux avec l’imaginaire collectif, avec le familier et la petite joie de faire des puzzles, ça joue la carte du local bien mieux que le bar du chapiteau. Ça prend source ici pour indiquer, à qui saura, d’autres voies possibles, de mauvaises habitudes à prendre comme celle d’être curieux, vigilant, et en doute constant. Jazz random. C’est canon de recoller des morceaux empruntés à la folk irlandaises, à d’autres chants populaires, à quelques licks de jazz et de se soumettre ainsi à la loi du hasard. La pioche est bonne ou à subir. Bonsoir Moreau, par exemple, est du premier acabit. Territoire cajun, leadership mouvant et illusions sonores en pagaille. Histoire de mettre la tête à l’épreuve et le corps à l’envers. La mémoire recomposée est un des grands enjeux de la musique de Robin Fincker. Dans Future Folk Stories, en action culturelle un peu plus tôt, où dans ce Passe-Montagne. Dans les mille reliefs, intimes et lyrico-libres, de ces musiques populaires redispatchées naissent alors des récits orphelins. Celleux qui écoutent se dépatouilleront bien avec le sens. Signification et direction confondus. On ne tirerait aucun génie novateur à redire ici qu’une scène nationale tend toujours un peu à mettre à la portée de l’intérêt général, l’art difficile et exigeant. Les trois concerts du soir le montreront sans notre aide. Dont ce Bedmakers et ses jeux de piste posés sur la place publique, comme une délicate chose. Travaillé et chéri sur scène, pour être réinventé dans la fosse. Rancière et ses deux assemblées se faisant face disait sans doute tout cela bien mieux. Mais il lui manquait la musique de ses passeurs de cols, ses arpenteurs d’universel, on ne peut pas tout avoir.

Albi 2025, Louis Sclavis
Albi 2025, Benjamin Moussay

On parle de Jacques Rancière. Il y a chez lui de très belles pages sur comment le peuple de 1789 s’inventa, sur les bords de Saône, des fêtes savantes en prenant parti d’une odeur ou d’une lumière de fin du journée. Révolutionnaire, Louis Sclavis l’a été, bruyamment d’abord, et sur les mêmes bords de Saône, puis plus patiemment ensuite, et un peu partout dans le monde. Habile, lui aussi, quand il s’agit d’inventer des fêtes savantes, irriguées de ses premières amours populaires de bal pop. Ainsi jouées pour ce concert, la Mousson, la Night In Cali Temple, tiennent moins de la carte postale, que de la résurgence de sensations accumulées. Moteur classe, très très classe, la paire Sarah Murcia/Christophe Lavergne pousse cette petite usine transcendantale vers le haut du panier. India est ainsi faite, ce soir à Albi, d’hautaine d’élégance et d’une viscérale d’intranquillité. Comme dans l’ultime morceau, Long Train, cousin Bollywood des A Train ellingtoniens et autres Blue Trane. Voire de ces trains qui, dans le cinéma d’Ozu, partent vers des destinations absentes mais nécessaires. Pas mal pour justifier de se rassembler autour d’une clarinette. Et se tenir chaud.
Chaud également pour les Rare Birds. À voleter au-dessus des brasiers du monde, à siffloter entre les lignes d’Emily Dickinson ou de PJ Harvey, on finit par rendre ce même monde incandescent. L’Orchestre du même nom, tout aussi brillant est une grande-oeuvre, un point de bascule assurément pour Sylvaine Hélary, une épiphanie radieuse ou se révèle une intimité pudique mis à ciel ouvert, sous le meilleur des patronage. Celui des poètes. Chanté, litanié ou juste déposé, le mot est en action à chaque recoin de la longue phase du set, irrigue la musique sans l’alourdir, pour s’y laisser flotter. Aveu, célébration ou influences. Par exemple, sur The Largest Fire Ever Know, tout s’allume et s’embrase, dans une densité formidable et fascinante, dans un équilibre instable saisissant. C’est Philip Glass qui danse avec Brian Wilson. Marrant comme à la deuxième vision de l’Orchestre Incandescent, l’ombre damnée du créateur des Beach Boys semble planer sur l’ensemble. Avec cet art d’un agencement, minutieux, où tout sonne clair et compact, où chaque voix se fait entendre par ce qu’elle soutient de l’ensemble, travail magistral de l’ingénierie sonore du monument. Dont la mélancolie éclairée livre ses couleurs et produit, paradoxalement, une flambée consolatrice. Ici, à Albi, dans le solo de trombone de There No Silence In The Earth, l’ascenseur ne mène pas à l’échafaud mais bien Over the Hill. Et dans le climat mondial foutrement anxiogène de ces dernières semaines, c’est assez acceptable et réconfortant de pouvoir lorgner sur quelques cimes éclairées.

Albi 2025, Rare Birds
Albi 2025, Rare Birds

Autre salle, autre fête. Retour au Magic Mirror. Pas si loin dans le nombre, pas si loin dans l’énergie interne, des Rare Birds. Indifférenciée, cagoulée, la quinzaine de cocos masqués de 2035 ringardise beaucoup de choses actuelles et pousse son set comme un braquo de carnaval et les teufs calées par Onyx Collective dans les parkings souterrains de Londres, alors en plein renouveau de free party. 2035, c’est du brut brutal. De la frontale effronterie. Esthétique crappy, compile post-pink, no-jazz autogérée et très mastoc. Sans posture, ni fioriture. Arrangements au service minimum, électrocardiogramme au max. Cette petite horde sauvage joue de ses savoir-faire en dissimulant ses talents pour mieux se faire entendre. Une étude de l’Ipsos indiquait en juin 2024, que 77 % des chefs d’entreprise pensent que la Gen Z est moins prête que ses aînés à faire des heures supplémentaires qui ne sont pas payées. À croire que l’intelligence n’attend le nombre des années. 2035, c’est assurément moins une prédiction qu’une menace : l’avant-garde est déjà la vieille garde. L’ethno-futur occupe déjà la place. Pourvu que ça dure.

Albi 2025, 2035
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