Tchip Tchip. Ces oiseaux-là volent bien au-dessus du marigot saumâtre des reprises et autres hommages qui inondent la scène improvisée, hexagonale et actuelle. Loin d’une relecture circonstanciée de l’œuvre de Carla Bley, Mortelle Randonnée en a fait son bizness. Foutraque, urgent, énervé, amoureux et prosaïque. Liste sélective qui résume d’ailleurs plutôt pas mal le corpus de Madame Bley (1936-2023), comme son rapport au jazz des années 60 aux années récentes. Ne pas oublier que le jazz, Carla l’a rencontré d’abord en tenant le vestiaire du Birdland à New York. Normal qu’elle aille, alors, le frotter au rock, au free, à la folk. On ne sait pas de quels vestiaires sort le quartet de Mortelle Randonnée, dont le nom fera facile le lien à Bley et au cinéma, mais son disque reflète une distance amusée similaire. Soit 10 tracks inclassables, tirés notamment de Tropic Appetites, de Dinner Music et d’autres recoins, comme cette revisitation frenchy de I Hate To Sing (1984). Amusée, bourrée comme un cabaret borgne, amusante. Et touchante. Tout le monde chante, ici, et chacun joue de ce qu’il connaît le mieux. C’est même ce qui relève ce disque si on le place sur la diagonale genevo-toulousaine des orchestres jazz-pop-foutraques, aux rangs on peut citer Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, Papanosh, Aquaserge ou encore Le Grand Silence, de la même maison Freddy Morezon. Mortelle Randonnée, un peu dada, parfois doudou, s’esquive par la maîtrise du collage bleyien dont il prolonge l’art vivace. Entendre, la longue pédale, d’un noir grimaçant, qui termine À Minuit, pour aller se cogner dans les pattes violentes agitées par Andy Lévêque sur L’Âne atonal. Sans doute pas assez avare en jeux de mots simplistes, comme celui son propre titre, le disque, patient dans sa construction, étalée sur quelques années, est pourtant ingénieux et vivifiant. Par ses emprunts à Kurt Weill, par son amour des micros-cellules répétées et modulées à loisir, par ses règles du jeu constamment rebattues. Par la présence de Karen Mantler, aussi. Fille de et de, Karen gazouillait sur Tropic Appetites et les textes crypto-hippies de Paul Haines. C’est émouvant de la réentendre ici. Non pas comme un featuring pour se faire bien voir, mais comme une de ces petites madones posées discrètement au-dessus de certaines portes à Anvers. Pour ne pas payer l’impôt, d’abord, mais aussi pour veiller en douceur sur ceux qui entrent et sortent de la maison. Et la maison de Mortelle Randonnée, construite sur un maudit volcan, est bercée des meilleurs auspices.
Freddy Morezon : site web