jazzdor 2024

jazz migration #10

Chroniques live prises sur le vif
des concerts à la Dynamo
Rencontres AJC 2024

Makaya McCraven

textes : guillaume malvoisin
photos © Maxim François / AJC
décembre 2024

Alain Jean-Marie
Alain Jean-Marie

Attaquer par MARSAVRIL un soir de décembre, c’est fertile, niveau climat. Les Chardons de la Lune, morceau qui ouvre le set et la soirée à la Dynamo, pose le décor. Jazz ? oui, sans doute. Du jazz, si le mot tient encore la route par la multitudes d’influences dont on l’abreuve. Du jazz qui sort des mixtapes. Ça nous ramènera aucun Joe, ni Dassin, ni Henderson, mais le propos est loin d’être là. Le groupe parrainé par Le Petit Faucheux joue un jazz de connexions. Celle de la vapor pop avec la syncope, celle du free avec le pastel, encore un beau bordel dû à l’Internet générationel, sans doute. Le quarteron tourangeau l’a non seulement compris mais le pratique à sa sauce. Légère, velouté à la langue et dense au palais. Soit, donc, du climat à climax. On notera ici qu’il faut fracturer la surface pour trouver un peu de cool respiratoire, on remarquera ici que les solos pastellisent. Certes. Mais qui n’aura jamais maté les vitrines des centres-ville d’aujourd’hui aura loupé un truc. Cette musique est une musique de son temps. Pas certain d’affirmer ici que la jeunesse a toujours raison, mais sous la surface pleine, aimable et très (trop ?) limpide du répertoire du groupe, s’organise des choses plus complexes, empruntant aux cultures électro et hip-hop. Mention parfaitement subjective à la fraction basse/batterie, solide et éloquente, tenue par Jasmine Lee et Benjamin François. La belle idée qui prévaut, c’est que MARSAVRIL ne rejoue une énième version frenchy du groove-electro londonien. Y compris dans le dernier morceau joué, perlé de collages McCraveniens. En bref, ce quartet est à ranger dans la catégorie des bands qui racontent sans se la raconter. Pour le reste, comme pour ce Chameau Bleu malin, donc forcément un peu branleur et classe, c’est joué avec l’affirmation de soi, digéré comme peut l’être un printemps, un soir de décembre.

Après les climats et les atmosphères, les eaux de l’improvisation libertaire. NUBU aka Nahash Urban Brass Unit entre en scène. De l’unitaire qui brasse et Le Galpon tournusien, en guise de parrain, pas surprenant. Le quintet est moins lancé dans la modernisation de ce qui a vécu que dans une forme de revisitation sincère et cérébrale de ce qui est connu. Techniques vocales étendues, sets customisés pour être au plus juste de l’envi, instrumentarium singulier. Le yodle à-la-Léon-Thomas, bon choix. Les agencements folk anglois, nice thing. Pas mal, aussi, de revitaliser l’usage du serpent, en passant doucement, et gentiment, sur les traces laissée par un Michel Godard soufflant chez Rabih Abou-Khalil, par exemple. NUBU dérange sans déménager, NUBU combine et s’élève sur ce promontoire d’équations. Victor Auffray, Thibaut Du Cheyron, Elisabeth Coxall, Marion Ruault et Guillaume Lys tentent de mettre en musique, in extenso, ce qu’on pige de soi, de ses racines et du lien aux autres. C’est parfois tendu mais c’est surtout lettré, c’est joli, hanté par mille références et jamais trop rétif face à l’héritage comme pour ce Foissiat In The Dark, ode sensible, ou ce Potiron éclairé au trombone comme les ruelles borgnes l’ont été au gaz, en leur temps. Avec une lueur fragile, mais solitaire et donc forcément amicale.

Alain Jean-Marie
NUBU
Alain Jean-Marie
Alain Jean-Marie

On parlait plus haut des mélanges, avec MARSAVRIL. Autre gamme de mixtures avec Sėlēnę. Appelons cela, attelage baroque. Dans sa composition, comme dans ses ornements, la musique du trio procède par juxtaposition iconoclaste, repères troublés voire glissade enjouées sur le versant plus mystique de la friction. Arpèges classiques nécessaires (coucou JSB), longues nappes dronées au violoncelle, drumming réglementaire comme une coupe sous un képi d’adjudant en caserne. Au-delà du gumbo né d’une reunion à La Réunion, il y a la voix. Celle du chant de Mélanie Badal, leadeure du trio, fraction berceuse contemplative, celle des samples sur portables, canal poétisation prophétique. Avec cela Sėlēnę se bat, avec cela Sėlēnę avance, avec cela Sėlēnę a décidé ne pas choisir. Naît alors un bambin golem, dansant autant au son de la tradition, que de la comptine arménienne, grognant autant d’emprunt au rock FM qu’à la ligne claire des stratoscasters gilmouriennes. C’est un joli bazar mais l’époque est au bazar. Les sophistes affirmeraient que ce trio est alors de son temps. Dont acte. Que les sophistes se débrouillent. Quant à l’espace, Sėlēnę offre un bon moyen de se prendre des perches. Tendues entre kitsch et désert, pleines de pluies flamboyantes ou grasses comme des carpes dans une bassine d’engrais. Sėlēnę va chercher à caler dans le même instant, la puissance, la charge violente, le sonore et la claque émotive. Bonne pioche.

Pioches itou, têtes de pioche, les [Na]. Preuve en est avec cette ultime reprise des Dead Kennedy. Fin de set, fin de soirée, fin des temps. Tant pis pour Messaien, ce quatuor est un trio. Jazz-punk, annoncé. Plus vivants que les frangins Kennedy, plus vivace que le punk, dont ils se réclament en partie, si tant est qu’il ait survécu aux débuts des années quatre-vingt et à Plastic Bertrand, le punk. (Insight date de 1987), mais c’est un autre débat. Ce qui est certain, ici, c’est que le trio joue avec l’énergie d’un désespoir joueur et politique, séditieux et insolent. On pourrait résumer cela avec cettet bonne vieille formule de power trio, trop facile. À côté de cette relecture d’Insight, dont la petite incisive shotgunnée au rayon « flonflon d’Alsace » est une merveille de 14 secondes, [Na] est loin de se contenter de fuck off et autres street réflexes. L’insolence dont nous parlons à leur sujet est le terreau du trio, ballottée entre heavy blues, marcribotinages, lézards très lounge et Afrique de l’ouest-allemande. Sur cette insolence, dansante et bétonnée, se tracent des hymnes sollicitateurs, des saillies free, des frappes sèches comme des coups de trique. Le tout sérieusement compacté dans un combo strasbourgeo-dijonnais remis sur les rails récemment par Fred Gastard. Et de ce son, compact et puissant, nait des envies d’en recevoir plus. Ce qui est toujours paradoxal face à un punk habitué à ses 2’30. Quand au jazz de l’affaire, et si le son fait toujours sens, il est giratoire. Über alles, comme disaient les DK.

Alain Jean-Marie
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