du bleu
en hiver
2022 :
4 concerts
4 reviews
textes : Guillaume Malvoisin
photos © Olivier Soulié
Sylvestre Nonique-Desvergnes
. Ches Smith /
we all break
. Hyperactive
Leslie
. Coccolite
. Émile
Londonien
ches smith / we all break
Ches Smith, batterie
Sirène Dantor Rene, Tossie Long
et Lalin St. Just, chant
Matt Mitchell, piano
Miguel Zenón, sax
Nick Dunston, basse
Daniel Brevil, Markus Schwartz
et Fanfan Jean-Guy Rene, percussions
Faire la peau à l’exotisme, c’est plutôt classe. Faire la peau à l’exotisme en inventant sa propre voie dans la créolité, c’est vraiment super classe. Ches Smith invente We All Break, ses propres réseaux et racines. Revendiquées et décentrées. Et l’exotisme en déroute, de s’enfuir comme un poulet malingre au pied du billot des bouchers. Ici ce qui se joue et, forcément s’expose, c’est une jonction de cultures, un syncrétisme puissant. Un syncrétisme démultiplié, si on considère les mélanges inhérents aux deux forces mises en présence par We All Break.
La tradition venue d’Haïti et cette musique ‘socalled jazz’. 2 termes d’une équation qui manipule l’impureté et la revendique comme un trésor. Naissent alors des rituels, des voix d’or et des frappes immarcescibles. Rien ne se joue dans la performance mais dans le geste, dans le son créé par ce geste. Le son fait sens à l’oreille bien avant que la cervelle ne comprenne quoi que ce soit de ce qui se passe. On se fait prendre facile, chez PointBreak, on croit beaucoup que le jazz tape sur le corps et le cœur avant l’entendement. Faux ami, ce mot, décidément (…).
En attendant, Smith et ses compères frappent toujours. Swing sur litanies païennes, blues violents, frappes aussi sèches qu’un coup de trique et bien plus efficace pour les consciences. Haïti et le jazz, deux nations d’affranchis. Deux nations bien trop commodément ramenées à une sale vignette primitive ou entertainnante pour les salons. Bien sûr, on écoute ce set dans une maison de culture, maison de plaisir habituellement, de plaisirs et de veille aussi et cela agit ici brutalement dans ce sens. Le topo-rappel de Daniel Brévil, très ému, sonne aussi fort que le reste de la musique. Écouter le jeu de Matt Mitchell au piano et celui de Nick Dunston à la contrebasse. Libres. Écouter la voix de Sirène Dantor Rene. Libre. Et fracassante.
Car We All Break casse la baraque. Avec un son or baroque, ses assemblages de trop et de plaisir. We All Break casse des briques. Au moins autant qu’un Mario plein de super. C’est très très beau, ça chante haut et clair. Et ça vous plante des griffes d’amour dans la peau. Ches Smith possède ce regard possédé, fasciné sur Haïti. La musique du tentet offre un objet musical sidérant. Têtu dans son idée de se construire par la filiation choisie comme par la parole prise par chacune et chacun. Le jazz s’est très souvent rejouvencé aux cultures trads. Bossa, Afro, Free-funk And co. Aucune raison qu’il cesse de le faire aujourd’hui. Surtout à une période où le mélange va commencer à faire office de badge politique. //
hyperactive leslie
Antonin Leymarie batterie, percussions
Antonin Leymarie, one-man-Band. Pas de quoi se cramer les cheveux, c’est courant. Oui mais pas à ce point d’autosuffisance. Hyperactive Leslie, c’est du circuit-très-court. À la limite du court-circuit. Dense, volubile et addictif. Auto-sampling, équations rythmiques résolues de façon quasi-onaniste, la musique du batteur sait ce qu’elle doit à ses propres moyens. Sa maîtrise des dynamiques et la dramaturgie acérée de chaque plage n’en sont pas les moindres exemples. On est pas loin d’un cousin artisanal des solos arty de Julien Desprez (Acapulco Redux) ou de Sylvain Darrifourcq (Fixin). Le son délimite un espace sonore très actif où chaque action induit sa réaction, immédiate et cash. Lumières d’appoint, effets divers, capteurs piezzos, veste fifties en bonus mais surtout patience. Car pour s’écouter il faut savoir prendre le temps. Perdre la mesure du temps. Parlez-en à n’importe quel ermite, vous verrez. Hyperactif, ici l’ermite. N’empêche. Il y a du rituel chez Leymarie, sa Leslie est canon, volubile et pleine d’assurance. Le genre de vamp hooligan qui force le regard et le respect. Neat, comme disent les ermites anglais.
Coccolite
Frappes cathédrales, collages sonores et culture pop posée sur une basse aussi solide qu’un rivet de la Tour Eiffel. Résumé possible. Mais insuffisant. Le trio connaît trop bien son fond et sa forme. C’est accrocheur, sans discussion possible. Julien Sérié loin d’être ultra light blasé assure la base infatigable de la fusion que Nicolas Derand impose tranquille aux synthés et machines. Rien de machinal, il a le clavier miterrandien. Il y a une révolte de rebond et de douceur dans la façon dont Coccolite cale sa force tranquille. Parfait pour mâtiner la légère mélancolie/nostalgie qui affleure des samples sonores ou flirte avec les intros à la Van Halen. Pourtant aucun clinquant, aucune démo. Ici le trio prouve qu’il sait ce qu’atmosphère veut dire, montre parfois qu’il ne faut jamais laisser un micro à un bassiste et affirme souvent que jazz et l’électronique savent couler des jours heureux. Heureux, joliment pixelisés et vigilants. Pas de warm up nécessaire chez Coccolite. L’alerte, même tranquille est foutrement robuste. Sans doute, encore un coup des forces de l’esprit.
Emile Londonien
On peut coller ‘London’ à son patronyme sans pour autant hurler en forêt avec les loups. Pour prendre d’assaut les dancefloors de la sono mondiale depuis Strasbourg, ville d’origine du trio, il faut être malin. Et drôle. Joie, Émile Londonien est du genre à vouloir être les deux. Et, godamn, à y parvenir avec un flegme et une forme d’humilité quasi-écossaise. Moins laid-back que le set du groupe précédent, Émile prolonge la transe, taille dans le nerf, dans le swing, dans le mix solide de sons House sur broken beat, du jazz gymnaste sur basses déhanchées. Ça fait l’effet d’un Fish’n’Chips pané par un caterpillar. Démesuré, audacieux et finalement bien tenté. Ça marche. Bel et bien, diablement, au point de ramener chacun, public et programmateur à la frustration des concerts assis imposés. Mais la joie d’être là, elle, elle est, debout. Hypnotique et très brillante. Half-empty bottle, consolation plutôt classe. //
du bleu en hiver 2022
la playlist du festival est à écouter ici.