George Michael, I want your sax
Du jazz, à bien écouter, on pourrait en trouver partout. Y compris à certains rayons des supermarchés, dans les ascenseurs ou dans les halls d’accueil. Ça aide à vendre, le jazz, ça aide à passer le temps ou à raconter de jolies histoires idéales pleines de grands sentiments. D’ailleurs, pour cela, on a même inventé un mot : jazzy. Cette rubrique réveille les trompettes et donne l’alarme. C’est l’Alerte Jazzy. Cinquième sonnerie avec un tube qui mixe sax lova et secret boy. Careless Whisper, shhhh… Peaceful.
jouer de la guitare avec des gants ? un détail © DR
À quoi ça tient, la fame, parfois. Ici, ce sera un malentendu redoutable et un lick de sax, claironné comme une première pelle un soir de boum au collège. Victorieux, maladroit et finalement un peu fatigant. Derrière le sax, le maître du sexy-poppy des eighties, George Michael. Encore un peu chez Wham!, déjà parti sur l’autoroute des plaisirs solitaires. Careless Whisper murmure sur Make It Big, album du duo où Andrew Ridgeley garde une menotte sur l’écriture et les double-sens. Mais Georgie a le feu, bien bien cuivrée le feu, même si, et on s’en moque, le saxophone appartient à la famille des bois. Du bois, le synth-crooner va sortir avec fracas et confidence.
Careless Whisper
« I should’ve known better than to cheat a friend
And waste the chance that I’d been given
So I’m never gonna dance again
The way I danced with you »
Careless Whisper sort en 1984. Le tube est gravé en 83, écrit en 81 mais déboule à la tête des charts l’année où l’Inde s’intoxique avec Bhopal, où l’URSS joue les gros bras en boycottant les J.O. de L.A., l’année où le Daily Shōnen Jump lance Dragon Ball. Pas trop une gueule de dragon, George Michael mais du jump et des balls, sans doute un peu pour quitter la poule aux œufs d’or qu’est Wham!, le duo de métro-bg ravageurs. 1984, en Angleterre, c’est l’année où les mineurs tenteront une grève massive. Des murmures imprudents, il y en aura pas mal entre les rouges et les jaunes, ceux qui brisent le mouvement, soudoyés par le gouvernement Thatcher. Là, sur ce 45t qui casse la baraque, le careless whisper est plus trouble. On disait malentendu plus haut. Pas une chanson d’amour ce tube, mais une confession intime. En loucedé, bien avant l’ère des plateaux télé à ciel ouvert. Ici, le ciel, c’est celui d’un dancefloor, où on gigote les dents aussi blanches que sa chemise. Brushing impeccable et sourcil en V ténébreux. L’homme de 84 est certes encore un peu viril mais il est surtout sensible et cache des fêlures que Shakespeare aurait peiner à décoder. Mais attention, la virilité de 1984 voit le revers de sa médaille. L’adultère peut avoir un goût amer. Il chante cela dans Careless Whisper, Georgie, le faux pas imprudent, le baiser fatal. Il en a encore l’expérience en bouche. Bien bien avant les golden showers clippées pour les 5 minutes de I Want Your Sex, trois ans plus tard.
” Hey les Wham, c’est lequel le fan de gros sax ? “
Moins sulfureux, mais pourtant, ça marche. Pourquoi, si personne n’a compris ce texte flirtant avec le remords et la honte ? Facile. Grâce à une dizaine de notes et à un nom sorti d’une audition de onze saxophonistes. On ne saura jamais si Steve Gregory était le meilleur, on sait juste qu’il devait être le plus puissant. Un son à recoiffer Bonnie Tyler, à dégrafer les carcacos un peu loosy de Sophie Duez. Langoureux, le petit Grégory sur l’intro, c’est l’idée. On comprend vite. Le sax sonnait blues pour le tardif Freddie King de 1974, il étayait le mystère créé par Chris Rea sur Whatever Happened To Benny Santini?. Il ira téter le Kind Of Magic de Queen, et retourner des rivière chez Wet Wet Wet. Mais en attendant, Careless Whisper, c’est du blues, produit clinquant oui, mais c’est du blues. C’est donc du sexe, complexe et limpide. Du paradoxe, quoi. Et le désir gamberge à pleine écluse. George Michael pose sa marque de futur crooner. Se frottant à Eros quand Thanatos va prendre une douche. S’il siffle sous la flotte, Georgie, lui, murmure en secret deux ou trois excuses imprudentes.
Georgie sur la corde raide (1984)
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Guillaume Malvoisin
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