Chroniques live, interviews, podcast radio pris sur le vif d’un festival niché entre les cuves d’une brasserie et ouvert sur la Cité. À Reims, le jazz balance sans peur des coups de soleil aux rageux.
les chroniques live
review Guillaume Malvoisin / photos © Vincent VDH et Alain Hatat / visuels © Jean Mosambi
jour 2
jour 3
jour 4
jour 5
jour 6
jour 7
les podcasts
Sunny
Side Up #1
Sunny
Side Up #2
Sunny
Side Up #3
Sunny
Side Up #4
Laura
Perrudin
Daniel
Erdmann
Belkacem
Meziane
Makaya
McCraven
Sélène
Saint-Aimé
Jour 1. Ouverture de festival.
Avec La Prim, on a interviewé Makaya McCraven, on est contents.
Jour 2. Premier Solo. Laura Perrudin joue son folklore imaginaire et réinventé. Electrifiant son répertoire comme elle a électrifié son instrument. Sa harpe posée au pied des statues de la salle des musiciens arpège jazz pop, poèmes taxés à William Blake, Auguries of innocence, et Philip Larkin, The Trees, ou encore le souvenir d’un cauchemar fait en mer, la tête embrumée par les médicaments. La musique de Laura Perrudin, pourrait s’apparenter à une musique de soin ou de catharsis minuscule et intime, un peu comme un Bauke Mollema remontant le Ventoux hors saison pour conjurer le sort. Ici, dans cette conjuration harpée dansent des fantasmes et des fantômes, flotte l’impermanence et qu’élues choix rugueux qui nous attendent tous un peu au tournant. I Fall in Love Too Easily, pousse le set dans l’expérience du dénuement, à l’intimité dévoilée avec pudeur.
Le second solo du jour fait la jonction bop entre Monk et Bach. Où Monch et Bak, tant le pianiste est à l’aise dans les renversements d’accords imprévus, les litanies rapides et les ruptures cut. Salle des ventes Chativesle, Alain Jean-Marie ne joue pas aux enchères. Impeccable au point d’être presque impassible, sa touche est d’une sérénité forcément bienvenue. L’oreille peut chopper easy ce qu’elle voudra de complexité dans la clarté du jeu. Herman Melville appelait ça loomings, en ouverture de Moby Dick, ces mini-miroirs bosselés d’illusions et d’apparences parfaites. Alain Jean-Marie préférerait sans doute Reflections, à bien se souvenir de sa discographie pleine de buigines pointues. Elles passent ici aussi. Avec la souplesse classieuse des autodidactes assumés, le pianiste fond la dignité de vie et le principe de liberté qui irrigue les peuples de Guadeloupe et de Martinique dans le bouillon des apôtres du bop cités ici. Charlie Parker, Baden Powell et forcément Monk.
Soft bascule transatlantique, direction Afrique de l’Ouest et la Cartonnerie. C’est la médiane tracée par Kenny Garett à la recherche des ses Ancestors. Du point A au point B traversent fantômes souvenirs, thèmes jouant comme des sales gosses, gospel et travées d’église. Garett joue clean et joue neat. Ces citations d’enfance fracturent à peine les longues pédales de groove modal jouées in extenso, le sax alto tape joliment de la pointe du pied dans les aigus. Ça mélange, forcément, quand on est passé sur le On The Corner de Miles, ça marque. Hargrove joue dans la mangrove, le Saint-Esprit cligne de l’œil sur le latino. Ça joue carré, ça casse l’élan avec du solo post-trane pour mieux repartir sur les rivages bop. Bref ça mélange. Mais de la façon dont les scotts savent faire leur blend, avec une part pour les angelitos.
Jour 3. On a loupé un des meilleurs concerts. La Brize de Sylvaine Hélary et Robin Fincker a soufflé joliment sur le caveau Mumm. Jean Mosambi, pourtant pas du genre poussin tombé de sa coquille en était tout retourné. Le soir, on est au Shed pour un nouveau plateau radio (bientôt dispo ici). On reçoit une jeune contrebassiste. Anneleen de Boehm, en bonne admiratrice de Wes Anderson, pose son Grand Picture Palace, dans la même bonbonnière. Ça joue sur le pastel grande classe, sur des lignes faites d’épures et de caractère. Ça flotte où ça doit flotter, ça tire au but où ça le doit aussi. Né d’une visite londonienne et de la vision d’un cinéma abandonné, GPP à la celluloïd aussi patiente qu’évocatrice.
Jour 4. Carnegie hall, version reimoise. Bibliothèque art nouveau, reconstruite post-WWI avec subsides ricains. Tu as raison, Michel, si les ricains n’avaient pas été là, Reims ressemblerait à Brest. Ouch. Là on est dans une salle d’étude parfaite. Etude aussi, ce format de concert improvisé. Deux musiciens, pas d’habitude et de la musique commune à façonner. Sarah Murcia et Manu Hermia au-delà de la rime de leurs patronymes vont jouer sur un terrain dénué d’attentes et de démonstrations, terrain miné par le risque et la prise d’écoute. Dans certains coins francophones du globe, on dit « prendre langue ». Succédané d’envoûtement, ce set improvisé en est une traduction musicale nickel. Ça prend langue, ça complète, ça propose puis ça cherche encore. Et ça crée des brèches. Fragment de blues à la Lee Konitz. Cordes avec le velours des grands espaces de cinoche. La contrebasse de Murcia, maîtrisée avec une forme classe assurée pousse, ou plus justement, propulse les soufflants, flûte trad, sax ténor de Hermia. Pompes ascensionnelles, battues minimales et dialogue feutrée sans jamais être timide. Les dynamiques de jeu s’impose avec une tendre force. C’est toujours beau qd on part de rien, c’est souvent très beau quand ça finit par ouvrir sur un possible éphémère.
Plus tard, l’éphèmère infuse encore. Sélene Saint-Aimé nage dans sa mare undarum, mère nourricière dont les bouillons et les torrents nutritifs sont aussi fantomatiques que magnifiquement flottants. On flottent nous aussi, à peine descendus de l’interview avec la contrebassiste (bientôt dispo ici).
Jour 5. Voix et contrebasse toujours, sax de retour. Cette fois-ci Manu Hermia rencontre les quatre cordes d’Élise Dabrowski. Soprane et ténor versus contrebasse. Les grands espaces sont encore lovés dans le pavillon belge, zébrés de puissance et d’incantations par la bassiste. On emprunte clairement le prolongement des pistes défrichée par Joëlle Léandre, par son chamanisme formel. Ici encore la rencontre avance par motifs obsessionnels mais là où hier la tendresse rugueuse faisait loi, la puissance s’imposent sur les impros de ce set. Y compris dans les longs souffles d’Hermia, posés à la limite du grain à moudre, envoyés à la hauteur des hymnes. Brûlants, impérieux. Impérieux, pas moins, mais solo. Brad Mehldau allume sans en avoir l’air la salle de l’Opéra. Les deux pieds dans la trayon Bach-boogaloo, le pianiste pinaille face au boogie, démonte génialement le It’s Allright With Me de Cole Porter, mets des baffes aux Beatles (wooh) et à Radiohead (merci). Point d’orgue mais un clavier versatile en diable et un conseil anciennement formulé par Dylan transformé par Mehldau en urgence. Don’t Think Twice. Ok Boarder.
Jour 6. Emissions radio au cordeau. La Prim et Dijon Campus sont avec nous, on est allés se promener sur la route de Memphis, sur la rou-oute de Memphis (Bientôt dispo ici). Le soir, Michelle David rallumait les réverbères des soirées club. La carte état bondée de bières et de gens heureux. Que veux-tu ajouter ?
Jour 7. Last shot in Reims. Double shot au carré. Deux duos sous la fresque à 360 degrés de La Chapelle Foujita. Le Duo Brady pose son boisé de cordes sous la voûte boisée, il y a pire tautologie sonore. Paul Colomb joue le nez en l’air, Michèle Pierre les yeux froncés. Arpèges et mélodies s’échangent ente cellos, quelques legato s’enflamment sous la vie et la passion du christ peintes par le japonais en 1966. Osmose jolie du dimanche matin. Sous les anges néo-baroques et un Dieu karatéka, duo toujours. Stéphane Payen et Daniel Erdmann jouent ensemble. Elderberries de Steve Argüelles, par exemple. Ça sonne d’emblée blues à la Lester ou à la Webster, économie de moyens, souffle en mode torching soul et velouté pointu des émotions. Tout avance sur tapis lourd, épaisseur grande classe. Ça frotte comme ça doit, ailleurs des faux unissons de contrebande jazz strillent le bonheur d’écoute et restructurent l’intérieur de La Chapelle. Contrebande parfaite sur le Hijacking où Payen, habitué des piratages, fait les poches de Bach. Volubile et plein d’une joie d’enfance, ce braquage minuscule. C’est aussi l’essence de ce duo, où le jeu pose ses règles, peu à peu. Certains appellent ça jazz, d’autres l’école wannagain. Something special, trancherait Pop Smoke.
PODCAST. Au pied des statues sauvées de la façade de Maison des musiciens, Laura Perrudin a posé un set taillé dans la simplicité et la fantaisie. Alors forcément quelques questions sont nées, on les lui a posées. Comment on écrit-on de la musique aujourd’hui en puisant dans les vieilles choses de la tradition et du jazz ? Comment ça se combine chant et musique ? C’est quoi les réf. de la harpe dans le jazz ? Un album à écouter ?
Comment on joue avec l’espace où le concert a lieu ?
C’est dur à faire swinguer la harpe ?
extraits de
Le Poison (Poisons & Antidotes, Volatine 2017)
Auguries Of Innocence (Poisons & Antidotes, Volatine 2017)
Le Refuge de la couleur (Perspectives & Avatars, Volatine 2020)
interview/réalisation guillaume malvoisin © jazzus/LeBloc 2021
interview Laura Perrudin
SUNNY SIDE UP #1 : Daniel Erdmann.
Cette série de podcast est née des interviews réalisées lors du festival Sunnyside, édition 2021. Initiée par Jazzus Productions, elle est réalisée par LeBloc main dans la main avec Radio Dijon Campus et La Primitive. Le principe est simple, la règle basique. On invite des musiciens, des programmateurs, des graphistes et d’autres passionnés à nous parler de musique, à aller faire les poches à My Little Sound Shop, disquaire de qualité. On se pose, on écoute et on parle.
C’est good. C’est soft. C’est hot.
interview : Martial Ratel / Guillaume Malvoisin
réalisation technique : Morgane Leveaux
réalisation podcast : Guillaume Malvoisin avec Ellinor Bogdanovic
© Jazzus/LeBloc/PointBreak 2021
interview (extraits) :
Martial Ratel (Radio Dijon Campus)
Guillaume Malvoisin (PointBreak)
© Reims, 17 octobre 2021
photo © Vincent VDH
Demain, dimanche, tu joues en duo avec Stéphane Payen, un autre saxophoniste. Comment ça joue deux saxophonistes ensemble ?
Avec Stéphane, c’est une rencontre quand j’étais encore 100% berlinois. Il y avait une session groove chaque mercredi dans un club. Moi je jouais là-bas, il est venu et on a sympathisé. Quand je suis arrivé à Paris, c’est un des musiciens que j’ai tout de suite appelé. On est très différents, dans le même univers mais très différents dans l’approche musicale donc on apprend des choses l’un de l’autre.
En quoi vous êtes différents ?
J’ai une approche de la musique peut-être un peu plus… Bien sûr j’ai étudié et j’aime bien savoir ce que je fais mais… peut être une approche plus simple et plus intuitive…
… plus mélodique ?
Plus mélodique peut-être aussi. Stéphane écrit des mélodies, lui aussi mais qui sont peut-être plus cachées dans ses structures ou dans des choses rythmiques très complexes. J’ai dû beaucoup travailler pour jouer sa musique. Et je pense que pour lui, c’est aussi un défi de jouer des choses très très simples finalement et qui doivent « suffire ». On se complète vraiment très très bien.
Et dans ce projet, les morceaux ils viennent de partout notamment de Bach. Qu’est-ce que vient faire JSB dans le jazz ? J’ai l’impression qu’il y a un tropisme chez les jazzmen.
Ah oui, harmoniquement, mélodiquement, les lignes de Bach, ce sont des lignes de jazz. Là on s‘est permis de faire ça parce que Stéphane a écrit une variation qui s’appelle Hijacking. Il prend un peu Bach en otage pour parvenir à ses fins. Mais je pense que pratiquement tous les musiciens de jazz jouent Bach à la maison. On est accompagnés de cette musique. Je suis souvent allé à Leipzig sur sa tombe.
Tirons le fil de Hijacking et de Bach, quand on regarde un peu ce qui s’écrit ou ce qui se dit sur toi Daniel, y’a ‘insolence’ ‘irrévérence’. Tu ne te laisses pas impressionner par les références ?
Si, je suis très très impressionné par les références et les grands.
Même sur un projet plus intime comme Velvet Revolution, l’humour est ultra présent. Ce sont des choses qu’on a oubliées un peu dans le jazz ou du moins dans un certain jazz peut-être plus écrit, plus lettré. Toi, quand tu joues, il y a de l’humour. Tu fais pas le clown, on est d’accord mais on a l’impression que tu joues sérieusement sans te prendre au sérieux.
Eh bien, j’aimerai montrer ça, que tout est grave et rien n’est grave, que tout peut arriver et rien ne doit arriver.
Ah c’est dada, ça, on est à Berlin.
Oui, un peu, j’aime beaucoup le mouvement dada. Je pense que ça vient du fait que j’ai évolué dans cette ville même si je n’y suis pas né.
D’où viens-tu en Allemagne ?
Je suis né à Wolfsburg, après j’ai grandi un peu aux États-Unis et puis j’ai grandi après à Brunswick, une ville du Nord. Je suis parti à Berlin, dès que j’ai pu, après le bac, parce que j’ai senti que c’était ma ville. Le premier jour, je suis allé voir un concert dans un club, avec des musiciens de cette ville. Et pour moi, c’était vraiment ça que je voulais, voir des gens influencés par Dada et qui enlèvent un peu de sérieux ou évitent de trop se prendre au sérieux. Personnellement, je pense que je suis très sérieux mais j’essaye de me libérer un peu de ça.
C’est le cas par exemple avec Das Kapital, trio avec lequel tu enregistres cet album, Vive la France.
Il y a de la Variété française, Ravel, Pancrace Royer, des choses plus anciennes mais effectivement on est sur le fil. Tout le temps, mais tout le temps. Des musiciens que je connais bien ont vu ce répertoire en concert et m’ont dit « C’est très étrange, normalement ça devrait pas marcher, ça devrait être horrible mais avec vous ça marche ». Je pense que Das Kapital c’est un peu un groupe spécial. Je ne sais pas pourquoi, c’est une rencontre un peu bizarre avec Hasse Poulsen et Edward Perraud.
Velvet Revolution, c‘est aussi politique que les premiers Das Kapital ? On est encore une fois dans un trio transfrontalier avec d’autres traditions de jeu et de musique. C’est aussi ta révolution intime, ton ADN de musicien, ce mélange des cultures ?
J’aime bien ce mélange de musiciens très différents encore une fois. Jim Hart et Théo Ceccaldi, je ne sais pas s’ils auraient pu jouer ensemble dans un autre… Dans leur vie de musicien. Théo, c’est un musicien qui se met vraiment au service du groupe. J’ai compris quelque chose avec lui, qui est assez incroyable. J’ai entendu Freaks, par exemple en concert, c’était vraiment génial et ça n’a rien à voir avec Velvet mais en réalité il joue la même chose qu’il joue avec Velvet. C’est le même jeu, la même chose, c’est son jeu à lui qu’il met au service d’un autre groupe mais c’est complètement lui et c’est assez fascinant parce que moi, je pense que j’ai un peu tendance à m’adapter un peu aux styles de autres. Théo reste très fidèle à lui-même et ça marche. C’est un musicien qui joue toujours à 300%, n’importe où parce qu’on a fait des grandes scènes mais on a fait aussi, au début, en Allemagne, des petits clubs, et il joue pareil. Ce n’est pas parce qu’il n’y a que trente personnes dans la salle qu’il va jouer à moitié. Et Jim, c’est pareil, c’est un musicien incroyable qui part vraiment d’un autre univers mais reste très très ouvert.
SUNNY SIDE UP #2 : Belkacem Meziane
Cette série de podcast est née des interviews réalisées lors du festival Sunnyside, édition 2021. Initiée par Jazzus Productions, elle est réalisée par LeBloc main dans la main avec Radio Dijon Campus et La Primitive. Le principe est simple, la règle basique. On invite des musiciens, des programmateurs, des graphistes et d’autres passionnés à nous parler de musique, à aller faire les poches à My Little Sound Shop, disquaire de qualité. On se pose, on écoute et on parle.
C’est good. C’est soft. C’est hot.
interview : Martial Ratel / Guillaume Malvoisin
réalisation technique : Morgane Leveaux
réalisation podcast : Guillaume Malvoisin avec Ellinor Bogdanovic
© Jazzus/LeBloc/PointBreak 2021
interview (extraits) :
Martial Ratel (Radio Dijon Campus)
Guillaume Malvoisin (PointBreak)
© Reims, 17 octobre 2021
photo © Vincent VDH
livres de Belkacem Meziane
parus aux éditions Le Mot et Le Reste
” J’ai commencé en 2006 avec une conférence qui devait être unique où je parlais de Ray Charles. Deux semaines après, James Brown meurt. Il y a eu de beaux articles, Libé et les autres ont fait de beaux articles mais le James Brown, mon James Brown à moi, n’était pas assez défendu. J’ai donc fait une conférence sur lui et j’ai enchaîné quelques mois après avec Sly Stone, quelques mois après avec George Clinton… Aujourd’hui, George Clinton, ça va, tout le monde connaît mais il y a 15 piges, c’était pas évident. Le format des conférences, ce n’est pas quelque chose que j’ai inventé, évidemment mais on voyait des conférences sur le hip-hop, sur la musique electro, qui était en ébullition. Je suis malade de jazz, aujourd’hui, j’écoute que ça à 90%. Je me suis demandé comment cette musique, comment ces artistes ont influencé le hip-hop, l’electro. Si Miles Davis, Herbie Hancock et ces gens-là ont fait du funk, c’est pas rien quoi ! J’ai commencé à intensifier les conférences et j’en suis arrivé au bout d’un moment à écrire un premier bouquin, sur le funk, un deuxième sur le disco et un troisième que j’ai fini cette année.
Dans les disques, tu as choisi direct un disque de Coltrane. Pourquoi ?
Parce que, c’est le saxophoniste qui m’a donné envie de travailler mon sax et non plus seulement jouer. Au début je jouais sur des boucles un peu funky, un peu gentilles et quand j’ai découvert cette musique et l’influence de John Coltrane… C’est un sax ténor, comme moi, voilà. Je travaille ces choses-là aujourd’hui, je m’en sors beaucoup mieux qu’avant et je suis content parce que le boulot paye, on va dire. Moment’s Notice, c’est un morceau qui est encore très difficile pour moi, que je bosse gentiment à la maison et que je ne présenterai pas tout de suite en jam. Mais c’est un morceau qui montre aussi la révolution, de la fin des années 50, les nouvelles grilles harmoniques. On ne se sert plus forcément de chansons des comédies musicales. Il y a aussi Giant Steps qui arrive à ce moment-là, So What de Miles Davis dans un autre style où John Coltrane figure, pour moi, on est dans une évolution. Tous les trois mois, tous les six mois, il y a quelque chose de nouveau chez Coltrane, c’est incroyable et c’est vraiment, pour moi, le saxophoniste qui a laissé, avec bien-sûr Charlie Parker évidemment, le saxophoniste qui a laissé une grosse trace. Et j’écoutais Michael Brecker avant, parce qu’il était funky et j’écoutais… Et quand j’ai découvert John Coltrane, j’ai fait le chemin inverse, en disant « ok, Michael Brecker vient de là, ok, d’accord ». Voilà, c’est une histoire que j’adore et petit à petit je suis allé un petit peu plus loin vers Coleman Hawkins, Lester Young. Après j’ai découvert le News Orleans et j’ai découvert toute la connexion et toute la connexion même avec le R’n’B, j’ai vraiment remonté le temps. Toutes ces connexions sont illimitées, on pourrait en parler des heures. Moi, ça m’a rassuré aussi sur ma culture musicale et puis sur la manière dont il fallait travailler. Les artistes de free jazz adorent en fait les chanteurs de soul, c’est curieux mais il y a des mondes qu’on imagine pas.
Justement, avec la hauteur que tu as pris sur cette musique, sur la Great Black Music, tu arrives, toi, à faire le lien entre un Maceo Parker à un John Coltrane ?
Ouais, forcément. Par exemple, Maceo Parker je ne vais pas tout de suite le lier à John Coltrane exactement mais à Louis Jordan par exemple ! Pee Wee Ellis, par exemple, qui était l’arrangeur de James Brown et qui vient de décéder, on en a parlé quand même un petit peu, j’étais assez content de ça, le type a pris des cours avec Sonny Rollins. Il prend le langage Be-bop et il en fait autre chose. Quand il fait Cold Sweat chez James Brown, il s’inspire de So What et il créé Cold Sweat chez James Brown. On est dans la même veine et un petit peu plus tard, Michael Brecker, qui est plutôt coltranien, va travailler énormément avec Maceo Parker, chez George Clinton… Ne laissez pas trop parler. “
SUNNY SIDE UP #3 : Makaya McCraven.
Cette série de podcast est née des interviews réalisées lors du festival Sunnyside, édition 2021. Initiée par Jazzus Productions, elle est réalisée par LeBloc main dans la main avec Radio Dijon Campus et La Primitive. Le principe est simple, la règle basique. On invite des musiciens, des programmateurs, des graphistes et d’autres passionnés à nous parler de musique, à aller faire les poches à My Little Sound Shop, disquaire de qualité. On se pose, on écoute et on parle. C’est good. C’est soft. C’est hot.
interview : Alexandre Liébiart / Guillaume Malvoisin
traduction : Alexandre Liébiart
réalisation technique : Yann Saguez
réalisation podcast : Guillaume Malvoisin avec Ellinor Bogdanovic
© Jazzus/LeBloc/PointBreak 2021
interview (extraits) :
Alexandre Liébart (Radio Primitive)
Guillaume Malvoisin (PointBreak)
© Reims, 11 octobre 2021
photo © Vincent VDH
Guillaume vient de me demander de choisir des mots pour définir ta musique. Je lui ai tout d’abord répondu « Hip-Hop », parce que tu fais un gros travail autour des samples et des boucles, mais aussi parce que j’ai découvert ton travail avec la Chicago / London Mixtape. Ensuite, je lui ai répondu « mélodieux », parce qu’en dépit du fait que ta musique soit guidée par le rythme et ses ruptures, elle demeure très mélodieuse. Est-ce que tu trouves ceci pertinent ?
Oui… Même si j’utilise parfois d’autres mots pour décrire ma musique. Je trouve que des termes comme « Jazz » ou « Rap » ne sont pas suffisants pour décrire les choses sur le plan musical. Ils sont trop restreints pour décrire ce qu’ils sont censés refléter. Les styles musicaux, les cultures, les peuples, sont de vastes domaines qui n’ont pas toujours de limites bien définies. Donc oui, je suis clairement influencé par la culture Hip-Hop. De la même manière, le Jazz fait partie d’un continuum qui passe aussi par le Funk et la Soul. Donc j’essaye de ne pas me laisser enfermer dans les cases que constituent tous ces mots et de voir la musique de façon plus large. J’essaye de ne pas laisser ma musique se laisser enfermer dans les cases délimitées par ce genre de termes et de l’évoquer de façon plus précise.
Pour ce qui est du terme « mélodieux », oui, je trouve que la musique que je fais est assez mélodieuse. Même si, en tant que batteur, je prête beaucoup d’attention aux rythmes, aux temps, je reste très sensible aux mélodies et aux émotions qu’elles peuvent susciter. J’ai toujours aspiré à être un musicien complet, initié aux théories de la mélodie, des harmonies et pas seulement un batteur qui tape sur ses fûts ou qui découpe des samples. Particulièrement aujourd’hui, à une époque où tout le monde est un peu beatmaker. Et surtout pour quelqu’un comme moi, qui passe déjà pas mal de temps dans sa chambre à découper des tracks. Pou revenir à l’apport du Hip-Hop, ce qui me fascine vraiment c’est le fait de détourner les sons de leur fonction première, comme Les Paul a pu le faire. Le fait de couper des bouts de bande magnétique, de les recoller pour en faire des boucles… Ou encore le fait d’utiliser des instruments comme le Mellotron ou la platine pour assigner aux sons une autre fonction ou pour créer des edits. Et tout ça bien avant de pouvoir manipuler les sons par ordinateur… Je trouve tous ces procédés fascinants. Et pas seulement parce que ce sont des innovations techniques. Il ne s’agit pas tant de réinventer la roue que de créer une façon d’unifier le passé et le futur pour faire partie de ce continuum. Donc si je devais ajouter un terme pour définir ma musique, je parlerais de l’aspect technologique
Qu’il s’agisse de reconnaître le morceau original caché sous tes collages ou encore de comprendre tous ces titres qui sont des variations autour des titres originaux, on a l’impression que c’est un jeu, une sorte de charade que tu proposes à l’auditeur, non ?
C’est une expérimentation, c’est une sorte de quête de la maîtrise de son art. Dans ce sens, oui, c’est un jeu, une sorte de défi. Une bonne partie de mes projets relève de l’expérimentation : « Tiens et si je faisais ceci ? » « Qu’est-ce qui va se passer si je fais cela ? » Je ne sais pas… J’essaye d’apprendre. De découvrir de nouvelles manières de faire. Même chose pour la batterie. En réalité, ce n’est pas tant de l’expérimentation qu’une quête. La quête d’un son, la recherche de différentes combinaisons. Oui, dans ce sens, c’est ludique, en effet. D’ailleurs, le disque commence par une citation de Pee Wee Marquette, qui dit : «quand vous applaudirez, gardez à l’esprit que nous enregistrons un disque pour Blue Note Records. Donc quand vous voyagerez à travers le pays et que vous entendrez ce disque quelque part, rappelez-vous que vos mains figurent dessus ». J’adore cette idée. C’est la thèse au centre de cet album. On peut réaliser une captation de concert. Si je sample ce concert, le public qui sera présent ce soir-là pourra continuer de faire partie de ce concert pour l’éternité.
SUNNY SIDE UP #4 : Sélène Saint-Aimé.
Cette série de podcast est née des interviews réalisées lors du festival Sunnyside, édition 2021. Initiée par Jazzus Productions, elle est réalisée par LeBloc main dans la main avec Radio Dijon Campus et La Primitive. Le principe est simple, la règle basique. On invite des musiciens, des programmateurs, des graphistes et d’autres passionnés à nous parler de musique, à aller faire les poches à My Little Sound Shop, disquaire de qualité. On se pose, on écoute et on parle. C’est good. C’est soft. C’est hot.
interview : Guillaume Malvoisin / Martial Ratel
réalisation technique : Yann Saguez
réalisation podcast : Guillaume Malvoisin
© Jazzus/LeBloc/PointBreak 2021
interview (extraits) :
Martial Ratel (Radio Dijon Campus)
Guillaume Malvoisin (PointBreak)
© Reims, 15 octobre 2021
photo © Vincent VDH
Tu parles de la lune, tu parles d’énergie, comment la lune, les énergies entre les gens sont invitées en studio quand tu as enregistré Mare Undarum ? Il y a quelque chose d’un peu magique ou spirituel ?
Quelque chose de magique et spirituel. C’est vraiment les deux mots qui me viennent à l’esprit à chaque fois qu’il y a une session d’enregistrement, je viens d’enregistrer mon deuxième disque, il y a moins d’un mois et, à chaque fois, c’était les mots qui revenaient, magique et spirituel. J’arrive avec des idées très précis en tête, en tous cas pour Mare Undarum. Il n’y a pas toujours de partitions mais chaque partie est dévoilée à chaque instrumentiste et on trouve notre équilibre de manière assez naturelle.
Parmi les origines de ce projet, il y a ta rencontre avec Steve Coleman, à New-York. Il y a aussi tes origines caribéennes.
La Caraïbe est à prendre dans sa globalité, ça pourrait être Cuba. Tu dis Jazz Ka, évidemment dans ma musique il y a du Ka mais, par exemple, l’idée n’était pas d’avoir du Ka pour le Ka mais d’avoir Sonny Troupé pour Sonny Troupé. Maintenant, je travaille beaucoup avec le tambour de la Martinique, le tambour bèlè. L’idée est vraiment de sortir ce qu’il y a dans ma tête en fonction de mes influences : la Caraïbe, les États-Unis, évidemment la tradition afro-américaine.
Et l’Afrique aussi ?
Et l’Afrique aussi, l’Afrique de l’ouest qui m’inspire beaucoup beaucoup. L’idée est d’avoir aussi une part de choses incontrôlées qui sort de manière naturelle.
On parlait du gwo-ka, qui s’est transformé en jazz ka. As-tu recours la transmission orale qu’on trouve dans certaines formes populaires de la musique ? Retrouves-tu un peu ce chemin de pensée, de l’observation à la transmission orale ?
Oui parce qu’il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une même diaspora avec des histoires différentes, l’oralité est vraiment la part commune. C’est la même chose dans tous les pays dans lesquels il y a une diaspora africaine large. Je pense à la Caraïbe, je pense au Brésil, l’Amérique du Nord et d’autres lieux.